Par Salem AlKetbi*
La reprise des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran a été qualifiée de « choc stratégique » par de nombreux experts et spécialistes. Les réactions de la communauté régionale et internationale témoignent de l’importance et des implications de cet accord.
Plusieurs acteurs régionaux l’ont accueilli à bras ouverts, notamment Oman, dont le ministre des affaires étrangères, Badr Al Busaidi, l’a salué comme une situation gagnant-gagnant qui renforcerait la sécurité tant au niveau local que mondial. Le premier ministre et ministre des affaires étrangères du Qatar, Sheikh Mohammed bin Abdulrahman Al Thani, a également téléphoné à deux reprises à ses homologues saoudien et iranien pour leur faire part de son approbation de l’accord. Anwar Gargash, conseiller diplomatique des Émirats arabes unis, s’est rendu sur Twitter pour exprimer son soutien à l’accord, soulignant l’importance d’une communication et d’un dialogue positifs entre pays voisins pour favoriser la stabilité et garantir un avenir meilleur pour tous.
De son côté, l’Irak a salué l’accord comme un changement de donne qui renforcera la coopération entre les pays de la région et marquera le début d’une nouvelle ère. L’Égypte, la Jordanie, le Pakistan, la Russie, la Turquie et diverses organisations régionales ont également salué l’accord.
Le thème dominant de ces positions était l’importance de la souveraineté, de la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres nations et du maintien de la sécurité et de la stabilité régionales.
Ces questions étaient au cœur du différend entre les Arabes et l’Iran à plus grande échelle, par opposition à d’autres questions stratégiques majeures au niveau bilatéral, telles que la saisie par l’Iran des trois îles des Émirats arabes unis (Grande Tunb, Petite Tunb et Abou Moussa). L’approche diplomatique des Émirats arabes unis sur cette question est ancrée dans la rationalité et la sagacité, animée par une détermination résolue à engager le dialogue et les négociations tout en sauvegardant soigneusement la souveraineté historique des Émirats arabes unis sur leurs îles.
Ce qui est encore plus intrigant, ce sont les réactions de certains acteurs régionaux et internationaux, qui ont été tout simplement fascinantes.
Mohammed Abdulsalam, principal négociateur de la milice Houthi soutenue par l’Iran, s’est dit convaincu que le rétablissement des « relations naturelles » entre les pays de la région est essentiel pour que la nation islamique retrouve sa sécurité, qui a été compromise par l’ingérence étrangère.
Dans le même ordre d’idées, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah libanais, a salué la reprise des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran comme un développement positif. Ces deux positions pourraient ouvrir la voie à un accord sur les questions en suspens au Yémen et au Liban, résultat direct du dialogue entre Riyad et Téhéran.
Il est évident que l’accueil chaleureux réservé à l’accord par les agents de l’Iran dans les deux pays implique leur approbation de toute résolution concernant les questions non résolues dans les deux dossiers. La réaction internationale la plus remarquable à l’accord est peut-être celle des États-Unis, qui se sont félicités de la reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran.
John Kirby, porte-parole du Conseil national de sécurité à la Maison Blanche, a noté qu’il reste à voir si l’Iran respectera ses obligations dans le cadre de cet accord.
Il a également rejeté l’idée que la Chine a comblé le vide laissé par les États-Unis au Moyen-Orient : « Je réfute catégoriquement l’idée que nous reculons au Moyen-Orient ». M. Kirby a également souligné que « les Saoudiens nous ont tenus informés de ces discussions, tout comme nous les tenons informés de nos engagements, mais nous n’étions pas directement impliqués ».
Un autre responsable de la Maison Blanche a déclaré que les États-Unis plaidaient depuis longtemps en faveur d’un dialogue direct entre les deux parties et saluaient tous les efforts visant à mettre fin au conflit yéménite et à réduire les tensions au Moyen-Orient. La politique du président Joe Biden, telle qu’elle a été exposée lors de sa visite dans la région l’année dernière, poursuit-il, repose sur la désescalade, la diplomatie et la dissuasion.
Pour être franc, la position américaine sur cette question est un élément clé pour saisir l’importance de cet événement stratégique. Si leurs déclarations sont factuelles, elles omettent un détail crucial et étonnant pour les décideurs de la Maison Blanche : le scénario du dialogue saoudo-iranien a dévié de la trajectoire attendue par l’Amérique. Initialement, le dialogue était médié par l’Irak et Oman, avec l’approbation ou le soutien des Américains, et il semblait progresser lentement sans percée imminente.
Cependant, la scène finale a pris une tournure inattendue à deux égards. Tout d’abord, la Chine a joué un rôle actif dans le scénario et a été mise en avant dans la déclaration officielle tripartite, ce qui témoigne de son influence internationale croissante. Deuxièmement, la déclaration finale est intervenue après deux événements importants : L’implication de l’Iran dans la crise ukrainienne en fournissant des drones à la Russie, ce qui a suscité la colère des puissances occidentales, et l’arrêt des efforts pour relancer l’accord sur le nucléaire iranien. Ce dernier était censé aller de pair avec l’ouverture saoudo-iranienne et, à terme, apaiser les tensions au Moyen-Orient et dans la région du Golfe arabe. Néanmoins, alors que l’un des piliers de l’accord – les efforts pour relancer l’accord nucléaire – s’est arrêté, les efforts de réconciliation entre les puissances régionales se sont poursuivis, grâce à la médiation réussie de la Chine.
En résumé, la réponse américaine à la réconciliation irano-saoudienne semble valable à première vue, mais le moment choisi et l’implication du médiateur chinois la rendent discutable. La déclaration de John Kirby contient une part de vérité, mais plusieurs facteurs ont conduit à un résultat final différent de ce que les États-Unis avaient prévu.
* Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral
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