Au Maroc, le think tank Policy Center For The New South (PCNS) vient de publier un note d’analyse de la conjoncture en cours sous le titre : « Bilan 2022 et perspective 2023 : vers une stabilisation des cours ».
Cette analyse signée Yves Jégourel, la note trace les grandes lignes de la situation économique et financière en ces termes : « Si l’année 2021 fut marquée, dans une situation de rattrapage économique post-Covid, par la progression des cours de la quasi-totalité des matières premières agricoles, minérales ou énergétiques, tel ne fut pas le cas pour 2022, caractérisée, au contraire, par une grande hétérogénéité de trajectoires.
Le déclenchement de la guerre en Ukraine a certes conduit à une élévation forte de nombreux produits de base en raison du poids de la Russie, de l’Ukraine voire du Belarus, dans la production mondiale.
Néanmoins, ce sont l’imposition, ou non, de sanctions commerciales et financières envers les entreprises exportatrices russes ainsi que la mise en œuvre de mesures de représailles par Moscou qui ont fondamentalement déterminé la trajectoire haussière ou baissière des prix.
Tout ne s’expliquait cependant pas par la situation géopolitique, la macroéconomie mondiale reprenant quelque peu ses droits au second semestre 2022.
L’appréciation du dollar sur une majeure partie de l’année a ainsi pesé sur les prix, tout comme les incertitudes économiques et sanitaires en Chine et les doutes relatifs à la politique zéro-Covid décrétée par Pékin jusqu’en décembre. Alors que le conflit entre la Russie et l’Ukraine devrait perdurer, ces mêmes variables détermineront en large part la physionomie des marchés en 2023 dans une situation macroéconomique déprimée.
+ Les effets différenciés de la guerre en Ukraine sur les marchés de l’énergie +
Selon les statistiques de la Banque mondiale, le prix du Henry Hub (la référence gazière nord-américaine) est passé d’une moyenne de 4,33 USD par million de British thermal units (Mbtu) en janvier 2022 à 5,50 USD (Mbtu) en décembre, soit une hausse de 27 % sur la période. Celui du Title Transfer Facility (TTF) – utilisé comme référence de prix pour l’Europe continentale – a enregistré une progression similaire, s’affichant à 36,04 USD/Mbtu1 en décembre, contre 28,26 USD/Mbtu en janvier précédent.
Ces valeurs mensuelles ne sont toutefois que le pâle reflet de la réalité du marché du gaz européen. Des prix records ont en effet été atteints en août, à quelque 70 USD/Mbtu. En prix journaliers, des valeurs bien plus importantes ont pu être enregistrées : le 26 août, le contrat à terme du TTF pour l’échéance février 2023 négocié sur la bourse américaine de l’Intercontinental Exchange (ICE) s’échangeait autour de 340 EUR par mégawatts-heure (MWh) – l’équivalent de 100 USD/Mbtu2 –, un niveau bien plus important que celui observé en mars, quelques jours après déclenchement de la guerre en Ukraine, à quelque 230 EUR/MWh (73 USD/Mbtu3).
Malgré un effondrement en décembre 2022 à la faveur d’un hiver doux en Europe, les cours gaziers se sont inscrits en hausse sur l’année mais également, en moyenne annuelle, par rapport à 2021 : +65 % pour le Henry Hub et +150 % pour le TTF.
La raison de cette explosion des prix du gaz en Europe est bien connue. Dépendante à près de 40 % des importations russes, l’Europe a dû faire face à la baisse rapide, voire la cessation, des livraisons transitant par les gazoducs Yamal Europe, Brotherhood, NordStream 1 ou Turkstream.
Malgré les approvisionnements provenant de Norvège ou d’Algérie, elle s’est logiquement reportée sur le gaz naturel liquéfié (GNL) américain et qatari, dans une moindre mesure. Non anticipés, ces achats ont été réalisés majoritairement sur le marché spot, ce qui explique cette envolée des cours.
En raison de l’importance de la demande européenne, celle-ci s’est diffusée à la quasi-totalité des cours au comptant, l’essentiel du marché du GNL fonctionnant néanmoins sous le régime de contrats pluriannuels à prix indexés.
+ Un manque de vision stratégique et de concertation… +
Au regard de cette crise énergétique majeure, l’important n’est cependant peut-être pas tant cette élévation des prix stricto sensu que sa dimension quasi-systémique. Outre l’effet de diffusion sur le marché international du GNL évoqué précédemment, leur hausse s’est en effet largement répercutée sur les tarifs de gros de l’électricité en Europe en raison de l’application du mécanisme de « merit order » et de la quasi-indexation des prix qui en découle.
Le cours spot de l’électricité a ainsi atteint près de 740 EUR/MWh fin août et plus de 1 300 EUR/MWh pour certains prix à terme.
Par ailleurs, l’élévation des prix gaziers s’est largement reportée sur ceux des fertilisants et notamment celui de l’urée utilisant le gaz naturel comme intrant principal. Ainsi, toujours selon les chiffres agrégés de la Banque mondiale, les cours de cet engrais ont atteint un niveau record en avril 2022 à 925 USD/t.
À titre de comparaison, ils s’étaient établis à 785 USD/t en août 2008, à l’acmé de ce qui était alors considéré comme un super-cycle des matières premières. Un net repli a néanmoins pu être observé en fin d’année, dans le sillage de celui du gaz. L’urée voyait ainsi son prix croître de 45 % entre 2021 et 2022, mais se contracter de près de 40 % entre janvier et décembre 2022.
Événement central de l’année 2022, la guerre en Ukraine ne peut être considérée comme l’élément déclencheur de la crise du gaz et de l’électricité.
Puisant, en Europe, ses racines profondes dans les mécanismes de formation des prix de l’électricité et dans une transition énergétique aux consonances souvent politiques et non économiques, souffrant d’un manque de vision stratégique et de concertation, cette dernière s’est en effet amorcée à l’été 2021.
À titre d’exemple, le cours au comptant de l’électricité dépassait le seuil de 70 EUR/MWh en juin 2021 et atteignait un premier pic à près de 400 EUR/MWh à la fin du mois de décembre de cette même année. L’Europe n’a pas été la seule région du monde touchée, dès cette période, par cette crise énergétique, la Chine subissant également les effets d’une insuffisance de génération électrique provenant des énergies renouvelables.
Dans une stratégie très inhabituelle de gas-to-coal switching, le charbon thermal a également largement profité de la crise énergétique européenne et de ses répercutions internationales. En raison de la cherté du gaz, les acheteurs internationaux se sont reportés sur le charbon pourtant voué aux gémonies quelques mois auparavant, contribuant au redressement spectaculaire de son prix.
En référence franco à bord (Fob) Newcastle, son prix s’est en effet engagé sur un chemin haussier dès l’automne 2020 et ne l’a guère quitté avant mars 2022 où il s’établissait à plus de 420 USD/t. Il a atteint un record historique quelques mois plus tard, le 5 septembre à près de 460 USD/t, ce qui lui offrait alors une progression de pas moins de 169 %. Il progressera, en définitive, de 93 % entre janvier et décembre 2022, et de 150 % entre 2021 et 2022. »
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