Que cache « la dérive » du Parlement européen ?

Par Ali Bouzerda –


Un jour, feu Ali Yata, grand homme politique marocain * disait que « le temps des canonnières (européennes) était révolu ». Il était convaincu et le croyait dur comme fer, mais Ssi Ali, comme l’appelaient ses camarades, s’est trompé sur toute la ligne.

Pourquoi ?

La mobilisation extraordinaire de 365 eurodéputés pour montrer du doigt le Maroc, tout en le mettant en sandwich entre le Brésil du tristement célèbre Bolsonaro et le régime peu recommandable d’Azerbaïdjan est une honte et une insulte aux yeux du peuple marocain.

Il faut avouer que le tour a été bien joué et le Royaume du Maroc, partenaire stratégique de l’Union Européenne, s’est trouvé du jour au lendemain au banc des accusés.

Incident grave et premier du genre durant ces 25 dernières années !

« Bien évidemment, le Maroc n’est pas le paradis des droits de l’homme et de la liberté d’expression, mais ce n’est pas l’enfer non plus », comme disait l’autre.

Les européens le savent bien car leurs chancelleries suivent de très près l’évolution des libertés chez nous, comme chez nos voisins ; toutefois ces derniers sont rarement inquiétés. Curieux ?

La députée et militante des droits humains, Nabila Mounib, dans sa réaction au sein de l’hémicycle a averti en ces termes : « On n’attend de leçons de personne pour garantir les droits et libertés dans notre pays… ». Et d’ajouter, que le temps est venu de se pencher sérieusement sur la question des droits humains au Maroc y compris la possibilité d’une « amnistie générale » afin de créer « un climat de confiance à même de permettre à notre pays d’avancer, préserver l’indépendance de sa décision et la dignité de ses citoyens ».

En d’autres termes, le Maroc est un pays souverain qui peut résoudre ses problèmes tout seul sans ingérence étrangère.

Et surtout, il y a l’art et la manière. Et cette manière de faire des eurodéputés, ne relève-t-elle pas plutôt de « la politique des canonnières » du XIXème siècle, avec ses textes coercitifs et ses menaces financières qui risquent de voir le jour dans un avenir proche ?

Sans être dans le secret des dieux, on se pose une question légitime : que cherche l’UE par l’intermédiaire du tapage médiatique de ses élus ? Intimider le Maroc afin de lui imposer de nouvelles règles de conduite ?

Les choses semblent plus subtiles, car ce n’est pas la question des libertés qui empêchent les eurodéputés de dormir sur leurs deux oreilles.

Rappelons cette citation qu’on attribue souvent à Winston Churchill mais dont l’auteur est Lord Palmerston, maître d’œuvre de la politique étrangère britannique au XIXème siècle : « La Grande Bretagne n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents. Elle n’a que des intérêts permanents ». Le pays de l’Union Jack a heureusement quitté l’Union européenne depuis belle lurette.

Ce sont plutôt des intérêts économiques et financiers qui ont fait bouger, en premier lieu, le Parlement européen pour s’en prendre aveuglément à son partenaire stratégique, le Maroc. Partenaire dont on faisait l’éloge, il y a quelque temps, notamment sur la coopération étroite en matière de lutte contre l’immigration illégale, la lutte contre le terrorisme, la criminalité, la contrebande, le blanchiment d’argent et le trafic de stupéfiants et des êtres humains.

Les élus du peuple marocain n’ont pas mâché leurs mots et ont dit tout haut ce que les gens pensent tout bas : à savoir les eurodéputés ont cassé du sucre sur le dos du Maroc pour faire plaisir au voisin de l’Est, afin d’acquérir le gaz made in Algeria au moment où Poutine ferme les robinets.

En attendant, les Européens se bercent d’illusions car ils connaissent mal la junte militaire au pouvoir à Alger.

Il y a aussi, la question qui dérange la business community à Bruxelles et que les élus à Strasbourg n’osent aborder ouvertement : la diversification des partenaires économiques et commerciaux du Maroc, à commencer par la Chine, l’Inde et Israël…

À y regarder de plus près, il y a trop de coïncidences qui apparaissent soudainement dans ce « film hindi » de Strasbourg. Comme par hasard, la levée de boucliers intervient après le Mondial 2022 avec un succès inattendu des Lions de l’Atlas et son impact positif dans les médias internationaux et le déclenchement du soi-disant scandale de corruption du Qatar-Gate qui a associé – sans preuves tangibles jusqu’à maintenant – le nom du Maroc, dans une instrumentalisation sophistiquée faisant du Royaume « un bouc émissaire » idéal.

Et ce n’est pas fini encore, car ce n’est que « la partie visible de l’iceberg », selon une analyse d’investigation de l’influent magazine allemand +The Spiegel+…

En bref, l’année 2023 débute mal pour les relations Maroc – UE, qui autrefois étaient empreintes de sérénité, de concertation et de respect mutuel.

Par ailleurs, on se demande à Bruxelles si certains de ses membres ont-ils « pardonné » ce rappel à l’ordre en 2021 au sujet du Sahara ? Le Maroc les a exhortés poliment à « sortir de leur zone de confort » et à suivre l’exemple de Washington, en reconnaissant officiellement la souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud.

Une demande légitime adressée à des partenaires du passé, du présent et de l’avenir.

Pris de court, l’Allemagne a grincé des dents, et les autres ont fait la sourde oreille ou plutôt mis la tête dans le sable. Toutefois, ce que certains ont oublié, c’est que les sables du Sahara sont parfois « mouvants » et gare à ceux qui se trompent de chemin…

De leurs côtés, les parlementaires marocains ont vu juste, lors de la session extraordinaire de ce lundi 23 janvier, en dénonçant ce qu’ils considèrent « la dérive » du Parlement européen. Une « dérive » qui rappelle les temps où les puissances coloniales dictaient leurs conditions aux pays africains sous le prétexte farfelu de la « mission civilisatrice » du continent noir.

Et comme de nos jours, on ne peut plus exhiber ce prétexte raciste et honteux, on a trouvé autre chose : la question des libertés et le droit à la différence etc… كلام حق يراد به باطل (une vérité qui cache un mensonge), disent les exégètes musulmans.

In fine, terminons par ces quatrains d’un chanteur du vieux continent qui invitent à la méditation :

« On veut faire de moi ce que j’suis pas

Mais je poursuis ma route j’me perdrai pas, c’est comme ça.

Vouloir à tout prix me changer

Et au fil du temps, m’ôter ma liberté… »

À bon entendeur salut !

*Ali Yata était le fondateur du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS – Opposition) et directeur du journal Al Bayane.

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