[Tribune] Une menace nucléaire russe, et ensuite ?

Par Salem AlKetbi*


Les menaces du président russe Vladimir Poutine d’utiliser des armes nucléaires si l’Ukraine tente de bloquer les plans d’annexion des territoires du sud et de l’est de l’Ukraine contrôlés par la Russie ont mis le monde en alerte quant à la possibilité d’une confrontation nucléaire. Le scénario d’une guerre nucléaire n’est plus seulement une hypothèse improbable.

Il semble désormais nécessaire de le prendre en compte pour évaluer l’évolution de la crise ukrainienne. Ce serait une grave erreur d’ignorer ce scénario, quelle que soit sa probabilité. Poutine ne se contente plus de faire des allusions, mais s’inquiète de la perspective d’une défaite militaire, qu’il n’est en aucun cas prêt à accepter.

Il n’hésitera pas à recourir à n’importe quelle arme, quelles que soient sa destructivité et ses conséquences, s’il estime que ses forces ont subi une défaite certaine sur le sol ukrainien et que Moscou est convaincu de la possibilité d’utiliser des armes nucléaires.

Cela a été confirmé par les déclarations selon lesquelles la doctrine nucléaire russe permet l’utilisation d’armes nucléaires si la sécurité nationale est existentiellement menacée, justifiant une telle utilisation, et par l’affirmation du président biélorusse Alexandre Loukachenko selon laquelle le monde n’a jamais été aussi proche de la guerre nucléaire qu’aujourd’hui.

D’autres facteurs alimentent les craintes d’un choc nucléaire. Il s’agit notamment d’un manque de calme, d’attentisme et de stabilité émotionnelle dans la prise de décision en Russie, qui semble être dans un état de grande nervosité et de tension, surtout après les nouvelles du succès de la contre-offensive militaire ukrainienne et du retrait des forces russes.

Le Kremlin fait constamment des gestes émotionnels qui reflètent un niveau croissant de colère et une perte progressive de contrôle sur la prise de décision. Poutine, un ancien espion des services de renseignement qui s’est souvent vanté de sa ruse, est facilement provoqué par les provocations occidentales.

Il ne peut pas faire preuve d’autant de retenue pour éviter de tomber dans le piège de l’élargissement du conflit ukrainien. Il n’a pas la souplesse diplomatique nécessaire pour gérer cette crise complexe d’une manière qui permette à son pays d’en tirer le plus grand bénéfice stratégique, comme la Chine l’a fait pour gérer la crise de Taïwan.

Cela est dû en grande partie au corpus historique de sagesse chinoise dans lequel les dirigeants chinois puisent et apprennent à gérer les crises majeures et à en sortir avec un minimum de pertes. Compte tenu de sa nature de dur à cuire, Poutine emprunte une voie à sens unique.

Il ne laisse aucune marge de manœuvre au reste des responsables russes, alors même qu’il dispose de l’un des diplomates les plus accomplis au monde, le ministre des Affaires étrangères Lavrov, qui ne joue pas le rôle d’influence qu’on attend de lui pour améliorer la position de son pays dans cette crise, où sa riche expérience diplomatique est nécessaire.

La décision du président Poutine de mobiliser partiellement et de rappeler quelque trois cent mille soldats de réserve alimente l’enthousiasme des dirigeants atlantiques pour infliger une « défaite humiliante » à la Russie en Ukraine. L’augmentation du contingent militaire russe est une reconnaissance implicite du manque d’efficacité de l’armée russe en Ukraine.

On prétend également qu’elle se retirera et sera vaincue dans plusieurs villes ukrainiennes. Des rapports objectifs font état des mauvaises performances de l’armée de l’air russe ; son incapacité à faire respecter sa souveraineté aérienne est l’une des raisons pour lesquelles la guerre n’a pas encore été tranchée en faveur de la Russie.

L’armée de l’air russe n’a pas réussi à contrôler l’espace aérien ukrainien et à atteindre des cibles malgré l’utilisation d’avions et de chasseurs de haute technologie. À terme, l’inventaire des avions modernes de la Russie sera épuisé. Le Kremlin doit maintenant résoudre le problème de la gestion de la guerre à long terme au milieu de telles pertes militaires.

Ceci est lié à la capacité de fournir les ressources nécessaires, surtout au niveau humain. En outre, des doutes entourent les stocks stratégiques d’armes et de munitions russes. Tout cela explique en partie la nervosité liée à la menace de représailles nucléaires si les projets russes en Ukraine sont bloqués.

Je crois que dans la prochaine phase, la Russie va étendre le théâtre de la guerre sur le terrain pour essayer de décider de la guerre en sa faveur.

Étant donné la situation difficile dans laquelle se trouvent la plupart des pays de l’UE et l’indignation suscitée par la décision de fermer le robinet du gaz à ces pays, l’escalade et la contre-escalade sous toutes ses formes seront le prochain scénario.

La guerre a évolué d’une opération militaire limitée en Ukraine à une guerre ouverte que le Premier ministre espagnol Pedro Sancher a qualifiée de guerre contre toute l’Europe, et la volonté écrasante des États-Unis d’épuiser la Russie afin de limiter sa capacité à soutenir la Chine dans une éventuelle confrontation sur Taïwan et de perturber les efforts de Poutine pour changer la structure de l’ordre mondial existant et saper l’hégémonie américaine sur celui-ci.

*Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral

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