Crise. Hamid Chabat, secrétaire général istiqlalien depuis septembre 2012, et Driss Lachgar, élu à la tête de l’USFP en décembre de la même année, n’ont pas été des rassembleurs, tant s’en faut. Les deux partis risquent de le payer cher lors des prochaines élections.
Les partis au Maroc? Dans une autre vie, si l’on ose dire, c’était bien simple: d’un côté, les formations issues du Mouvement national et, de l’autreة, celles dites « ad min istratives » soutenues, sinon instrumentalisées par le Méchouar. Une équation qui a duré un temps, pratiquement deux décennies après l’indépendance. Les formes d’action et les règles de jeu étaient connues: quelle était la légitimité décisive et centrale? Si les premières reconnaissaient bien le statut prééminent du Roi Mohammed V, puis Hassan 11- elles le réduisaient pratiquement à un symbole plus qu’à un arbitre-chef. Deux conceptions se sont ainsi affrontées au cours de cette première séquence, elles se différenciaient tant sur la nature institutionnelle et démocratique du régime que sur les options devant fonder et modeler les politiques économiques et sociales. Camp contre camp, projet contre projet: telle était l’équation, surtout que cette altérité recoupait le clivage et la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Après des années de transition brouillonne (1955-60), le rapport de forces va profiter à la monarchie. Le renvoi du cabinet Abdallah Ibrahim (UNFP) en mai 1960, après seulement dix-huit mois, a été le premier acte. Le second a été marqué par la première Constitution, en décembre 1962, qui a consacré la prépondérance du Roi dans le système institutionnel. À 1 partir de cette position stratégique, Hassan Il a fortement pesé sur le déroulement de la vie politique nationale. Face à un Parlement où la majorité était aléatoire, il décida l’état d’exception pour une durée de cinq ans (1965-70). La deuxième Constitution, en juillet 1971, est venue constitutionnaliser ce qu’il faut bien appeler l’absolutisme royal. Et puis, les deux tentatives de coup d’État de juillet 1971 puis août 1972 ont conduit à une impasse: comment 1 sortir de cette crise, surtout que les partis de la Koutla (UNFP/PI) se rangeaient encore dans un front du refus et de boycott des élections?
Si l’année 1973 a marqué un autre tournant répressif lié à des menées déstabilisatrices du courant Fqih Basri (UNFP) -événements de Moulay Bouazza, dans le Moyen Atlas … – il faudra attendre 1975 pour que soit relancé laborieusement un processus de démocratisation. Il y avait là, en effet, une dialectique prenant en compte les exigences d’une unité et d’une mobilisation nationale qui ne pouvait pas manquer de se traduire en terme politique: levée de la censure de la presse partisane, légalisation de l’USFP et du PPS.
Opposition historique
La nouvelle formation socialiste, dirigée par Abderrahim Bouabid, opère, lors de son congrès de 1975, une révision historique: celle en faveur de l’option démocratique, rompant avec celle « révolutionnaire » de Mehdi Ben Barka et d’autres dirigeants, mise en avant dès le congrès de 1963.
Pour autant, le Roi entendait garder toutes les cartes en main. En régulant les élections locales de novembre 1976 puis celles législatives de juin 1977. D’ouu la création de RNI, confié à Ahmed Osman, alors Premier ministre ministre, en octobre 1978, sur la base d’un courant dit des « Indépendants » majoritaires dans les deux scrutins précités. Cette nouvelle formation avait d’ailleurs raflé la majorité absolue (140 sièges) à la Chambre des représentants -une manière de n’accorder qu’une place réduite au PI, à l’USFP et au PPS.
Vocation gouvernementale
Le nécessaire parlementarisme majoritaire pouvait ainsi fonctionner, avec ou sans ces trois partis de l’opposition historique; à eux d’accepter un statut minoré bien décalé par rapport àleurs ambitions et à leurs prétentions dans le champ politique national. Si la formation istiqlalienne, dirigée alors par M’hamed Boucetta, ne résista pas à pas moins de huit ministères(1977-83), tel ne fut pas le cas de l’U’ qui, lui, dénonçait son score dE députés et la mainmise d’un parti « secret » tirant toutes les ficelles. L’articulation du système part s’est retrouvée de nouv construite autour de deux pôles : le premier, celui des partis héritier Mouvement national, continua se réclamer de manière récurrente d’une légitimité historique, mais était plus divisé que par le passé du fait de la vocation gouvernementale de la formation Istiqlalienne. Quand au second pôle, il se fondait sur le RNI; le PND, issu d’une scission en 1981; l’UC, créée en avril 1983 par Maâti Bouabid -Premier ministre (1979-1983)-; et, en appoint, le MP de Mahjoubi Aherdane.
Arithmétiquement, la Koutla était minoritaire avec un bon tiers seulement des voix et des sièges; et il était pratiquement exclu que sa situation électorale se modifie sensiblement du fait des astreintes pesant sur le champ électoral et politique.
Pour le Roi Hassan Il, le souci constant était d’intégrer l’opposition historique au système institutionnel. Deux tentatives ont été menées à cet égard à la fin 1993 et en 1994 pour mettre sur pied ce type de cabinet d’alternance. Elles ont toutes deux avorté, surtout parce que Hassan Il tenait à confier la direction du gouvernement à un leader USFP et non pas istiqlalien comme M’hamed Boucetta à l’époque. A ses yeux, c’est l’implication de la formation socialiste qui avait un sens: c’était cela le changement!
Déclassement des partis
Il a fallu ensuite attendre la Constitution de 1996 pour que le processus d’intégration de la Koutla enregistre une avancée significative puisque, pour la première fois, celleci appelait à voter « oui ». Un balisage de terrain qui allait faciliter la nomination du cabinet d’alternance, dix-huit mois plus tard. Hassan Il était aussi serré par un calendrier médical. Depuis son hospitalisation à New York, en novembre 1995, il savait que sa santé était gravement chancelante. Il avait ainsi à cœur de finir son règne sur une base consensuelle, normalisée, apaisée pour tout dire. Et ce fut le cas lors de la succession dynastique qui a intronisé S.M. Mohammed VI le 30 juillet 1999.
Comment s’est alors présenté le système partisan en place pour le nouveau Souverain? Plusieurs facteurs cumulatifs peuvent être retenus à ce sujet. Le premier d’entre eux est à ses yeux une forme de déclassement des partis, en particulier ceux de la Koutla…
Elle a perdu son attractivité, surtout pour ce qui est de l’USFP, par suite d’une gestion gouvernementale de quatre ans plutôt sujette à caution. Elle a continué dans cette voie de l’intégration n’échappant pas à un double phénomène: celui de la banalisation durant treize ans de participation à trois cabinets; celui aussi d’être également comptable du bilan gouvernemental de plus d’une décennie. Ses capacités de mobilisation et de militantisme de terrain se sont progressivement diluées et contractées durant cette phase.
Le carriérisme et les aisances des postes ont ainsi pesé de tout leur poids dans ce sens. Et puis comment ne pas relever que l’identité même du projet socialiste s’était quelque peu édulcorée jusqu’à lui faire perdre son âme?
Partie prenante dans toutes les politiques publiques, l’USFP, qui se plaçait historiquement dans un projet alternatif, s’est alignée sur le PI; mais surtout sur le RNI et le MP dans un tronc commun inscrit précisément dans les réformes.
Luttes intestines
Ce champ réformateur avait été également investi dès le début du nouveau règne par le Roi, qui entendait, à marche forcée, jeter les bases d’un projet de société marqué du sceau de cette même vision. En 1998, l’USFP et ses alliés -PI et PPS avaient un avantage comparatif et compétitif par rapport à tous les autres acteurs.
Est-ce encore le cas aujourd’hui? Personne ne peut sérieusement le soutenir. Il faut ajouter que l’irruption du PAM, créé à l’initiative et sous la houlette de Fouad Ali El Himma depuis 2009, a réduit d’autant l’identité de l’USFP parce qu’il s’est positionné lui aussi dans le camp de la modernité, de la démocratie, de l’État de droit et des libertés. L’USFP n’a plus le monopole du progressisme, cette qualité étant également revendiquée par le PPS.
C’est un système partisan éclaté qui est désormais présent. Le PJD témoigne d’un enracinement social incontestable, composant les faiblesses de l’USFP et de la Koutla sur le terrain. Les clivages sont englués dans une confusion qui ne facilite pas la visibilité, la lisibilité ni la cohérence des positionnements des uns et des autres. Si le PPS est resté au gouvernement, le PI, lui, a fait un pas-de-deux entre 2012 et 2013 pour finir par rejoindre l’opposition au côté de l’USFP. Ces trois partis plafonnent toujours à hauteur de 30% des voix, mais leurs destins respectifs, sont contrariés. Tout paraît se passer comme si l’USFP et le PI n’avaient plus désormais d’autre perspective que de continuer à camper dans l’opposition jusqu’en 2016 et sans doute au-delà …
Après plus d’une décennie de participation gouvernementale depuis 1998, ces deux partis pourront-ils « se refaire une santé ». à terme et peser sur les conditions de formation de toute formule gouvernementale? L’interrogation est d’autant plus fondée que ces mêmes formations accusent des luttes intestines et des divisions dont les conséquences se traduiront lors des scrutions de cet été 2015 et de 2016.
Hamid Chabat, secrétaire général istiqlalien depuis septembre 2012, et Driss Lachgar, élu à la tête de l’USFP en décembre de la même année, n’ont pas été des rassembleurs, tant s’en faut. Les courants « Bila haouada » de Abdelouahed El Fassi, pour le PI, et Alternative démocratique de Tarik Kabbaj, pour l’USFP, sont bien l’expression d’une segmentation qui ne peut que pousser à la marginalisation.
Comme les civilisations, les partis sont mortels, fussent-ils historiques et prégnants dans la mémoire collective. Ils vivent, se développent et puis la loi biologique fait sentir ses effets politiques … Ce déroulé du demi-siècle passé tient également à un autre facteur: celui d’un renouvellement générationnel. Les trois partis de la Koutla ont été dirigés, longtemps, par des figures de premier plan éligibles à un statut de « Zaïms ».
D’autres défis
Abdallah Ibrahim, Mehdi Ben Barka et Abdederrahim Bouabid (UNFP/USFP) présentaient tous les traits de leadership qui ont gagné leurs titres militants et même leur charisme personnel dans une histoire en mouvement, hier pour la libération et la fin du protectorat puis pour un projet socialiste -il faut y ajouter Abderrahmane Youssoufi. La formation istiqlalienne s’est, elle aussi, identifiée à Allal El Fassi jusqu’en 1975; son action s’était inscrite dans cette même mouvance libératrice. Et M’hamed Boucetta, à un autre plan, peut aussi exciper d’un cursus inscrit dans cette séquence. Ali Yata, lui, est une autre illustration de ce profil historique à la tête du PPS durant un demi-siècle.
Une nouvelle génération a succédé à ces figures, dans chacun des trois partis, les transitions n’ayant pas été d’ailleurs bien simples. Mais enfin, le fait est là: les dirigeants actuels (Driss Lachgar, Hamid Cha bat, Nabil Benabdellah) de chacun des trois partis de la Koutla ont d’autres défis.
Le Maroc est dans une construction démocratique et la difficulté existe pour chacun d’entre eux à retrouver une voie nouvelle de nature à donner une spécificité aux programmes de leurs partis respectifs. Un chemin de crête, alors que l’offre politique est très diversifiée -avec 35 partis- et que les chemins des réformes sont généralement partagés par les uns et les autres.
Maroc Hebdo International/Article19.ma