Par Ali Bouzerda
En temps de guerre, le plus court chemin pour aller droit au but serait de « traverser au milieu des combats et pas autrement… », nous racontait un ancien combattant. Mais, « c’est dangereux…et même une folie ? », l’apostropha son interlocuteur en évoquant « le bon sens ».
Ah ! le bon sens. Il perd tout son sens quand des milliers de jeunes marocains mus par la volonté inébranlable de poursuivre leurs études de médecine en Ukraine, s’apprêtent à y retourner même si des bombes russes y pleuvent chaque jour.
« Je ne n’en peux plus… Je veux retourner en Ukraine, soit essayer de poursuivre mes études de médecine car les universités sont ouvertes, soit récupérer mon dossier universitaire (bac compris) et ensuite trouver une alternative », explique Hiba sur un ton ferme, mais qui toutefois cache un regard perdu dans le vide.
Elle n’est pas la seule d’ailleurs, il y a des milliers d’étudiants dans cette situation et qui sont « prêts à courir le même risque » et qu’advienne que pourra, ajoute-t-elle.
En fait, Hiba faisait le pied de grue, ce mercredi 20 juillet 2022, avec des dizaines d’autres jeunes devant la chancellerie de Bulgarie située dans le quartier Hassan à Rabat. Certains, venus de Tata, de Laâyoune et même du Rif ont passé la nuit à la belle étoile ou dans leurs véhicules afin d’être les premiers à déposer les papiers.
Leur souhait est simple: obtenir rapidement un visa de transit pour accéder au territoire ukrainien à travers les frontières bulgares limitrophes, après un vol Casablanca – Istanbul – Sofia.
Pourquoi retourner là-bas malgré ces « temps sauvages ?», comme disait Mario Vargas Llosa. Sa collègue Myriam est catégorique: « Une vérité qui saute aux yeux, les conditions matérielles et morales des études de médecine en Ukraine sont nettement meilleures, de qualité et moins chères qu’ailleurs… ».
Ailleurs, c’est la Roumanie, la Pologne, la Moldavie ou la Bulgarie dont parlent certains officiels marocains avec cette idée kafkaïenne de vouloir « les caser » coûte que coûte dans ces contrées, au lieu de trouver « une solution adéquate » en partenariat avec les autorités de Kiev.
Par ailleurs, il y a un problème monstre qui se pose à savoir celui de la langue d’enseignement et les niveaux des études…
À noter qu’il y a des groupes de jeunes marocains qui suivent leurs études en ukrainien, d’autres en russe et certains en anglais. Un vrai casse-tête.
Selon Younes, un jeune étudiant en médecine générale, les étudiants marocains d’Ukraine ont tenté par tous les moyens pacifiques (marches, sit-in et protestations) de provoquer des réunions ou un semblant de dialogue avec les autorités concernées mais : « Oualou… zéro dialogue malheureusement ».
Pour avoir une idée du problème, ils seraient pas moins de 10.000 étudiants inscrits dans les différentes branches scientifiques en Ukraine y compris la médecine dentaire, l’ingénierie et la biologie…
Les autorités concernées dans ce cas de figure, elles, semblent avoir « d’autres chats à fouetter », expliquent ces étudiants qui sont devenus, du jour au lendemain, une sorte de « dégât collatéral » de la crise russo-ukrainienne.
En parlant de « chats », il faut bien appeler un chat un chat : les responsables du ministère de l’Education nationale et leurs collègues des Affaires étrangères n’ont pas, apparemment, « le temps » de recevoir les représentants de ces étudiants ni leurs familles afin de leur expliquer de vive voix le topo de la situation et qu’elles seraient les solutions envisageables, et ce, à 40 jours de la rentrée universitaire, s’indignent ces jeunes avec le sentiment d’être « totalement abandonnés », au moment où le temps presse.
Ici et là, la rhétorique de certains officiels marocains qui jouent du violon en évoquant le « bientôt » de l’intégration des ces étudiants dans des universités nationales, notamment avec la fameuse option de « N moins 1 ». Une trouvaille absurde qui fera perdre à ces malheureux « deux années d’étude », en d’autres termes, une approche « discriminatoire » et « inacceptable » par tous.
« Nous avons bossé dur, très dur… et notre rêve est de devenir des médecins… nous aimons cette noble profession et nous ferons tout pour continuer et réussir… », rappelle Myriam, en attirant l’attention sur le fait que certains « sous-estiment le sérieux, le sacrifice de ces jeunes et tant d’années de labeur ». Et de préciser que contrairement aux ragots, ces étudiants ont de « bonnes, et mêmes d’excellentes notes aux examens et tests ».
Face à ces temps d’incertitude, ces étudiants ont le droit d’être inquiets car leurs parents sont soucieux et tristes au point qu’ils « n’arrivent plus à fermer l’œil la nuit », dit-elle, et il y a de quoi.
Rappelons que sur le plan financier, cela leur coûte pas moins de 10.000 euros par an et par enfant, alors que certaines familles ont deux, parfois trois enfants inscrits dans des écoles ukrainiennes.
Et depuis six mois, ces familles attendent Godot…
Sans verser dans un débat byzantin, le devoir des autorités concernées est de trouver rapidement des solutions avec « une approche flexible » qui répond aux besoins et profils des candidats et non d’essayer de les caser ici et là comme du bétail.
Reste un détail insolite dans cette triste histoire: il y a comme par hasard, ce que j’appelle les “contractors“ de la guerre. Pas ceux made-in USA d’Irak et d’Afghanistan, non! Ce sont ces intermédiaires civils de nationalité marocaine, par dessus le marché, qui proposent à ces étudiants désespérés leurs « services » non par charité musulmane mais « rubis sur l’ongle » pour récupérer leurs dossiers des universités de Kiev et d’ailleurs, contre 13.000 dirhams / dossier.
Un hic! « Sauf que ces dossiers ne sortiront jamais des universités ukrainiennes sans la présence physique de l’étudiant concerné … et les victimes de l’arnaque ne seront jamais remboursées », affirme-t-on.
En bref, en temps de crise, des voyous sans état d’âme poussent comme des champignons ou plutôt pullulent comme des charognards.
N’est-ce pas une situation qui n’a que trop duré?
Mais en fait où est passé le Makhzen qu’on décrit souvent comme étant « omniprésent », « omniscient » et qui a « le bras long » ?
A bon entendeur salut!