Analyse – Maroc, pays du vivre ensemble

Par Dr. Mohamed Chtatou


Un regard sur le programme USAID Dakira

Le but du programme Dakira de l’USAID est d’explorer et de renforcer la solidarité interreligieuse et interethnique par le biais d’efforts communautaires qui préservent l’héritage culturel au Maroc à travers deux objectifs primordiaux :

Objectif 1 : Renforcer la préservation religieuse et culturelle, l’apprentissage et la cohésion sociale; et

Objectif 2 : Soutenir les initiatives qui favorisent la tolérance, le dialogue interconfessionnel et le multiculturalisme.

Pour préserver le patrimoine culturel du Maroc, Dakira engage un réseau solide d’organisations de la société civile locales diverses pour soutenir la mise en œuvre du programme. Grâce à ces partenariats, Dakira catalyse l’engagement diversifié et coordonné des acteurs de la société civile, des dirigeants communautaires et des parties prenantes locales pour discuter, réfléchir et apprendre sur le patrimoine religieux et ethnique du Maroc. Ces partenariats permettent la documentation et la diffusion des pratiques, des expériences vécues et des témoignages partagés par les parties prenantes, ainsi que la restauration du patrimoine matériel.

Le programme développe une approche intégrée et participative axée sur l’autonomisation des communautés par le renforcement des capacités et l’apprentissage par l’expérience afin de promouvoir le multiculturalisme, la cohésion sociale et la diversité. Cette approche participative est également à la base de la création de plans d’action partagés pour améliorer les futures opportunités de subsistance au sein des communautés ciblées.

Si la mémoire de la cohabitation entre musulmans, juifs et chrétiens est préservée, et si Dakira peut amener les gens vers une plus grande compréhension culturelle, alors une solidarité renforcée émergera qui améliorera les moyens de subsistance et servira de modèle pour le dialogue interreligieux au Maroc et dans la région.
Les résultats attendus de cette remarquable initiative sont comme suit:

1- Localiser, préserver et numériser les histoires collectives et individuelles, les visions et les archives (sous leurs différentes formes) de la diaspora marocaine et des communautés religieuses et ethniques migrantes;

2- Créer des outils éducatifs et de sensibilisation pour les facilitateurs et les participants aux initiatives de dialogue interconfessionnel, y compris les guides touristiques, les étudiants et les associations;

3- Démontrer – en particulier aux jeunes – l’importance d’apprendre, de comprendre et de préserver leur histoire locale, notamment en ce qui concerne les minorités religieuses et ethniques, le multiculturalisme et l’harmonie interconfessionnelle;

4- Améliorer les compétences techniques et narratives, le sens de l’objectif et la confiance des jeunes et des associations, afin qu’ils puissent mettre en œuvre des projets patrimoniaux utiles aux communautés; et

5- Augmenter la portée des campagnes de sensibilisation multimédia à travers le Maroc et la diaspora marocaine, en incitant les membres de différents groupes religieux à interagir sur des intérêts communs et des identités partagées.

Dakira, pour sauvegarder la mémoire collective

Le programme Dakira de l’USAID, mis en œuvre par la High Atlas Foundation et ses partenaires, l’Association Mimouna, la Fondation Mémoires pour l’Avenir, l’Association Mogador d’Essaouira, l’Association Argania, l’Association Sefrou pour les arts multidisciplinaires et la Fondation Miftah Essaad, vise à développer et à lancer une approche participative unique pour la préservation éducative de l’histoire multiculturelle du Maroc.

Le programme encourage les communautés locales à saisir, préserver et transmettre leurs souvenirs collectifs afin qu’elles soient mieux équipés pour s’approprier la revitalisation de leur propre histoire.

Cette approche d’introspection et de partage d’expérience entre les participants locaux maximise la construction de relations menant à des actions collectives qui améliorent les moyens de subsistance et une découverte approfondie de l’identité multiculturelle du Maroc.

La conférence a présenté des conteurs, rassemblé les gardiens du passé pluriel du Maroc, exposé des voies artistiques pour le dialogue communautaire, souligné les points communs entre les groupes religieux et ethniques à travers l’art et le sport et a réfléchi au rôle des jeunes et des femmes dans la durabilité du patrimoine. Des témoignages et des conversations avec les partenaires et les participants du programme Dakira ont incité les participants à contempler et à explorer les méthodes traditionnelles et nouvelles de préservation de l’histoire multiculturelle du Maroc grâce à des efforts communautaires collectifs.

Maroc, pays multiculturel

Dans un discours, feu Roi Hassan II avait déclaré que le Maroc est un pays qui puise ses racines en Afrique et respire par ses branches en Europe. Une belle métaphore qui résume la position géostratégique et l’identité culturelle plurielle de ce pays.

En effet, le Maroc a toujours été un pays carrefour, un point de rencontre entre différentes cultures et civilisations. Un pays de rencontre entre le monde occidental, le monde arabo-islamique et le monde africain mais aussi un pays d’échanges, de dialogue, de tolérance et de vivre- ensemble.

Le Maroc, sur le plan archéologique est le pays qui abrite Le site de Jebel Irhoud, devenu le nouveau « berceau de l’humanité » depuis la découverte de restes d’Homo sapiens de 300.000 ans considérés comme les plus vieux du monde, et qui a été classé patrimoine national par les autorités marocaines. La décision de préservation a été publiée dans l’édition de janvier 2018 du Bulletin officiel marocain. Sur le plan historique, le Maroc, en tant qu’entité politique et culturelle a plus de 6 millénaires d’histoire connue.

Sefrou, capitale du vivre-ensemble

Le Maroc à travers sa longue histoire a toujours été un pays d’accueil, de dialogue et de vivre-ensemble. Il a accueilli des populations juives expulsées en l’an 568 Avant Jésus-Christ par les Assyriens, en l’an 70 Après Jésus-Christ par les Romains et en 1492 par les catholiques espagnols après la Reconquista.

Le Maroc a été aussi le point de départ de l’Islam vers l’Afrique lors des dynasties amazighes des Almoravides (1040–1147) et des Almohades (1121/1147–1269). Un Islam qui est rentré dans ce continent par le biais les caravanes commerciales marocaines. L’islam africain s’est enrichi par la suite par l’expérience soufie marocaine de Sidi Ahmed Tijani.

En effet, une des écoles de pensée islamique les plus fortes et les plus puissantes présentes aujourd’hui en Afrique est sans aucun doute la tarîqah tijâniyyah qui trouve son origine dans la zâwiyyah tijâniyyah de Fès où son créateur Sidi Ahmed Tijani (1737-1815) est enterré. Pour le musulman africain, Sidi Ahmed Tijani est une figure islamique importante et son école de pensée soufie a indéniablement influencé positivement sa vie dans tous ses aspects à tel point que la ziyyârah de sa loge à Fès est devenue, pour lui, d’une importance religieuse secondaire après l’accomplissement du cinquième pilier de l’Islam : le hajj.

Le substrat culturel judéo-amazigh
L’un des pays les plus uniques d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient est, sans aucun doute, le Maroc, non seulement en raison de ses nombreuses identités et racines culturelles coexistantes, mais aussi pour ce que ces influences ont apporté à ce pays, à long terme. Une question persistante se pose : d’où vient ce statut unique ? Les peuples et les cultures qui ont influencé le Maroc sont venus de différentes origines, mais ont laissé des héritages différents tout au long de son histoire, ce qui soulève la question de savoir comment l’héritage d’un pays ou d’une religion d’envahisseur ou de visiteur peut influencer la culture, les traditions, et même la religion d’une manière aussi profonde ?

À la base de toutes ces influences différentes qui proviennent du colonialisme, de la migration, du commerce ou de l’invasion, il existe des dénominateurs communs très forts qui ont permis aux deux plus anciennes fondations et influences de la culture marocaine, à savoir l’amazighité et le judaïsme, de persévérer par leurs influences et leur impact la culture, les valeurs du vivre-ensemble et la tolérance.

Le Maroc est largement connu comme une nation islamique, mais même avant l’arrivée de l’Islam au Maroc en 694, les Amazighs étaient les principaux habitants de l’Afrique du Nord, en général. Après la destruction du Second Temple juif en 70 après J.-C., la population de la région de Palestine, a fui principalement vers l’Afrique du Nord, en plus d’autres endroits comme l’Asie, l’Espagne et le Moyen-Orient, où elle a trouvé un accueil très amical pour leur mode de vie et leur religion. I

lls sont arrivés dans une Afrique du Nord occupée par les Romains, mais ont trouvé respect et compréhension mutuelle résultant de la rencontre des tribus juives et amazighes et de leurs civilisations respectives. Ils ont pu créer une base très solide et influente non seulement pour l’histoire , mais aussi, et surtout, pour la culture marocaine d’aujourd’hui.

Yossef Ben-Meir, président de la High Atlas Foundation, prononçant le discours d’ouverture de la conférence Dakira

Une influence durable comme celle-ci n’aurait pas été possible sans la relation et la compréhension solides que les tribus juives et amazighes ont eues dès le début de leur rencontre. Le mélange et la coexistence ont été le début de la relation judéo-amazighe qui a abouti à l’une des bases les plus durables, les plus influentes, et les plus transformatrices sur les valeurs et la tradition marocaines telles qu’elles sont aujourd’hui et qui seront connues sous le concept du substrat culturel judéo-amazigh.

Avant l’arrivée de toute religion monothéiste en Afrique du Nord, il y avait de nombreuses tribus amazighes différentes qui vivaient dans la région, qui n’avaient pas vraiment de religion officielle mais plutôt un mode de vie tribal qui les unissait en tant que peuple. Ces tribus amazighes ont existé et prospéré en Afrique du Nord pendant plus de soixante siècles et, par conséquent, le tribalisme a lié ces personnes en tant qu’idéologie sociale dominante et en tant que système de gouvernance efficace. Cet environnement s’est avéré idéal et propice pour un autre groupe de personnes tribales qui fuyaient leur région à la recherche d’un autre environnement accueillant où vivre et prospérer.

Après la destruction du Second Temple en Palestine par les Romains, de nombreux survivants juifs ont décidé de fuir vers l’Afrique du Nord où ils ont trouvé un mode de vie tribal déjà existant et proche du leur. Au début, le peuple juif d’Afrique du Nord habitait des zones rurales du nord. Ils se sont épanouis dans leur environnement grâce aux loyautés tribales déjà existantes et au respect de la nature qui est si important dans les modes de vie amazighs et juifs.

Cette transition vers l’Afrique du Nord du peuple juif, qui représente une religion et une nation complètement différentes, aurait pu entraîner des conflits de toutes sortes, mais, par contre, il a réussi à s’installer et à prospérer grâce à son sens aigu de la coexistence et du brassage.

Sur le plan professionnel, le peuple juif a choisi des métiers de valeur et a fini par devenir un pilier de la communauté et certains de ses membres les plus dignes de confiance. Ils sont devenus des marchands itinérants (allant d’un endroit à l’autre pour vendre diverses choses comme des ustensiles et des produits cosmétiques), des peseurs (des personnes qui avaient les compétences nécessaires pour peser sur le marché, car les balances n’étaient pas très répandues et seuls ceux qui bénéficiaient de la confiance de l’État étaient choisis pour le faire), des ferronniers, des orfèvres, des banquiers locaux (des personnes qui prêtaient de l’argent avec des intérêts, ils étaient si populaires dans cette profession non seulement parce qu’ils étaient dignes de confiance mais aussi parce qu’ils ne demandaient pas de remboursement, s’il n’était pas disponible, mais augmentaient simplement les intérêts), et ils étaient également chefs de caravane (c’était également une profession à laquelle peu de gens faisaient confiance et seuls les Juifs se donnaient la peine de payer la taxe de passage – en fait, le mot pour guide en Amazigh est azettat qui fait référence au morceau de tissu azetta qu’il portait sur un long bâton, visible de loin pour indiquer qu’il avait payé la taxe tribale). Ces professions étaient extrêmement utiles et permettaient une intéraction et une intégration complète dans la communauté amazighe.

Activités réalisées

Les participants à cette conférence ont discuté de l’ancienne vérité du rôle des femmes en tant que gardiennes inter-générationnelles de la culture, du folklore et du patrimoine – en particulier à travers les récits oraux au sein des ménages – et de la question de l’accès des femmes à jouer un rôle actif et visible dans la préservation et la perpétuation du patrimoine (multi)culturel au Maroc. La méthode Dakira d’exploration de l’identité intégrée à l’autonomisation des femmes a été présentée et appliquée comme un premier pas en avant.

Les participants au programme Dakira ont discuté aussi du multiculturalisme et du tourisme durable et ont fourni des témoignages de leur expérience d’enseignement et d’apprentissage du patrimoine juif marocain avec l’Association Mimouna, le ministère du tourisme et l’ISITT. Les partenaires du programme Dakira ont expliqué comment le tourisme est lié à leur travail de préservation du patrimoine matériel et immatériel. Les participants ont posé des questions et ont discutés de la manière dont l’industrie du tourisme peut garder vivante la mémoire multiculturelle marocaine tout en soutenant le développement des compétences et les opportunités de travail pour les jeunes et les membres des communautés locales.

La conférence a fait découvrir, au grand public, les méthodes uniques utilisées par Dakira pour promouvoir la préservation du patrimoine culturel et susciter le dialogue sur ce sujet parmi les jeunes. De l’art au sport, Dakira vise à inculquer une appréciation et une volonté de découvrir plus profondément le patrimoine marocain diversifié en utilisant une variété d’outils.

La conférence a jeté aussi la lumière sur les expériences et les histoires des gardiens musulmans des cimetières juifs et chrétiens et des sites du patrimoine religieux qui ont hérité de ce rôle au cours des dernières générations. Quels sont, selon eux, les défis et les opportunités les plus notables, comment envisagent-ils la préservation future de ces lieux sacrés marocains et comment les gardiens du patrimoine peuvent-ils également en tirer des revenus durables ?

Une exposition informelle des projets et activités de Dakira a été organisée avec l’opportunité pour les participants de créer un réseau et de préserver leurs propres souvenirs marocains dans des capsules vidéo comme souvenirs personnels et outils éducatifs.

Paralèllemt, des petits groupes ont discuté ensemble et ont rédigé des propositions de plans d’action et de partenariat. À la fin de la session, les groupes ont présenté leurs idées sur la façon dont ils peuvent travailler à la préservation du patrimoine multiculturel, au dialogue et à la tolérance dans leurs propres communautés et au-delà.

Conclusion: La conférence Dakira, un grand succès

Izza Génini, réalisatrice marocaine, icône du vivre-ensemble

Il faut dire que cette grande conférence organisée par l’USAID à travers la High Atlas Foundation -HAF- et dirigée de main de maître par son sympathique président Yossef Ben-Meir a été, sans nulle doute, un grand succés de part son ampleur, ses objectifs atteints et son impact futur, sans oublier, pour autant, la mise en évidence du rayonnement du Maroc dans le monde par son multiculturalisme dynamique et son vivre-ensemble, sans égal, dans un monde tourmenté par la haine et la violence.

Un des grands moments de cette rencontre de la célebration de la mémoire marocaine était la présentation au grand public de l’icone marocaine du cinéma documentaire: Izza Génini qui n’a cessé depuis les années 70 du siécle dernier de glorifier le Maroc, son multiculturalisme et son vivre-ensemble proverbial par ses grandes oeuvres cinématographiques à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Dans l’ensemble, il ne fait aucun doute que le programme Dakira de l’USAID contribue, indéniablement, à préserver l’histoire multiculturelle du Maroc grâce aux efforts collectifs des communautés. Donc, tout ce que nous pouvons dire est: BRAVO USAID, HIGH ATLAS FOUNDATION et toutes les associations participantes à cette noble initiative. Le MAROC vous dit un million de fois merci.

Vous pouvez suivre le Professeur Mohamed Chtatou sur Twitter: @Ayurinu

Khmissa, symbole marocain du vivre-ensemble

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