[Analyse] – Il est temps pour l’Occident de cesser de diaboliser les pays qui contestent son hégémonie

Par Noureddine Amir *

Il suffit de consulter la carte géographique de l’Europe à travers l’histoire pour se rendre compte que les guerres que ses pays se sont menées, à travers l’histoire, étaient la règle et les périodes de paix de rares exceptions. Les frontières et le nom des pays qui ont changé (Empire romain d’Occident, Empire romain germanique, Empire carolingien…) attestent du caractère belliqueux de la mentalité des peuples européens à cause notamment du morcellement féodal mouvant et des rivalités permanentes entre rois, souverains et nobles.

L’Europe ajoutera un autre nom et un autre grade sur ses épaulettes à savoir la « citation » de l’Occident et ce à partie du 16e siècle quand elle a conquis tout le continent américain et imposé, à ses nouveau-nés, les USA et le Canada, son modèle de vie et de pensée. Désormais, les Lumières sont sur son sol, et les ténèbres sur celui des autres.

Les pays européens chercheront, à partir du 16e siècle donc, à s’étendre et à dominer les territoires appartenant à d’autres peuples, grâce à la puissance des nouvelles armes que la révolution industrielle a mis à leur disposition et qui leur donneront un net avantage face à des résistances obsolètes et éphémères ignorant que les règles d’engagement ont complètement changées du fait de la technologie.

Nous ne parlerons pas, dans cette analyse, de l’empire romain qui a annexé, par la force des glaives, tous les pays du pourtour méditerranéen, allant jusqu’à la Babylonie, la Mésopotamie, l’Arménie et même l’Angleterre, et ce pendant 5 siècles sans proposer les moindres valeurs justifiant son occupation, une occupation qui se limitait à prendre aux peuples assujettis les richesses dont ils disposaient et de les acheminaient à Rome. « Rendre à César ce qui appartient à César ! »

Avec l’avènement du Christianisme, l’Europe retrouvera les mêmes réflexes d’expansion. Mais elle s’ingéniera à leur donner une « légitimité » d’apparence les rendant comme des guerres justes, alors que leurs objectifs inavoués sont autres.

C’est à partir des Croisades, qui s’étendront du 11e au 14e siècles, que la Diabolisation de l’ennemi accompagnera toutes les campagnes guerrières de l’Europe et deviendra une arme très efficace, même si elle est basée sur le mensonge et les contrevérités.

Avec la bénédiction et l’appui de l’Eglise catholique, permettant d’enrôler la plèbe, les croisés diabolisaient les Turcs qu’ils qualifiaient « d’infidèles et hérétiques occupant les Lieux saints des Chrétiens », alors que lesdits Lieux saints étaient sacrés pour les adeptes des trois religions monothéistes…

L’objectif des Croisades, selon les historiens, était autre : mener des actions militaires contre l’autorité des sociétés marchandes musulmanes qui dominaient les routes commerciales de l’Orient.

L’histoire donnera raison à Saladin qui infligera aux envahisseurs de lourdes pertes sur les champs de bataille et se montrera magnanime, par la suite, en permettant aux Croisés défaits de retourner à leurs pays sains et saufs, avec tous leurs biens, sans oublier ses gestes de grand cœur : à Jérusalem, il laisse aux chrétiens le Saint-Sépulcre et rend aux juifs leurs synagogues, supprimées par les Croisés. Une mansuétude qui faisait défaut aux papes et aux rois d’Europe de jadis.

Après les Croisades, les navigateurs européens offriront à leurs pays sur un plateau d’or l’Amérique, le nouveau continent découvert au 15e siècle. La colonisation de cette partie du monde a été menée par l’Espagne, la France, l’Angleterre, mais également, dans une moindre mesure par la Hollande et la Suède.

Là aussi, la diabolisation des Amérindiens a revêtu des allures d’hallucination : Lorsque les colons massacraient les Amérindiens et gagnaient les guerres, on disait que la «civilisation» avait progressé «pour la plus grande gloire de Dieu»; quand c’était les Amérindiens qui tuaient des colons, on parlait de «massacres» ou de «tueries» de la part des «sauvages».
On décrivait les autochtones comme des «créatures» assoiffées de sang.

« Ce sont des créatures infernales, ignorant les règles de la pudeur, et ne connaissant d’autre Dieu que le Diable.» Ce sont les propos que tenaient des membres imminents de l’église dans leurs prêches.

« Près de 100 millions d’autochtones du continent américain ont été tués ou sont morts prématurément du fait des Européens et de leurs descendants en cinq siècles », affirme l’historien américain David E. Stannard. « Environ 12 millions d’autochtones sont morts à l’intérieur des frontières géographiques actuelles des États-Unis entre 1492 et 1900 », selon Russell Thornton, anthropologue américain. Un génocide de grande dimension, jamais dénoncé !

Le Vieux continent poussera l’horreur jusqu’à réduire les populations africaines en esclavage et de les embarquer vers le nouvel Eldorado américain où ils mourront de pénibilité au travail, de malnutrition et de sévices de leurs maîtres, avec une fois encore la bénédiction de l’Eglise : « Les royaumes, duchés, comtés, principautés, et autres domaines, terres, lieux, camps, en possession des susdits Sarrasins, païens, infidèles et ennemis du Christ […] par l’autorité apostolique, nous vous conférons la pleine et libre faculté de les envahir, conquérir, emporter et subjuguer, et de réduire en perpétuelle servitude les personnes qui y habitent » (Divino amore communiti, délivré le 16 juin 1452 par le pape Nicolas V à Alphonse V de Portugal).

L’histoire est riche en ces enseignements macabres. Mais l’humanité, dans sa crédulité, croit toujours aux fables et aux mensonges qu’on lui serine tout au long des conflits. « L’ennemi devient un diable portant les cornes, et nos gouvernants des anges avec des ailes blanches », finissait-elle par croire.

Le fameux Napoléon Bonaparte, qui se rêvait en successeur d’Alexandre le Grand et de Gengis Khan, a ordonné l’exécution en 1799 de 3.000 prisonniers, lors du siège de la ville de Jaffa, l’actuelle Tel Aviv. Ce monsieur qui n’a pas hésité à empoisonner ses propres soldas malades de la peste, parce qu’ils lui sont devenus encombrants et bons à rien, se chargeait en personne de rédiger des articles destinés à la presse sur ses exploits qui se résumaient tous en bains de sang et diabolisaient ses adversaires.

Pourtant, personne ne l’a jamais qualifié de criminel de guerre, pour la seule raison qu’il fait partie des symboles de l’Europe !
Cette même Europe a décidé de se lancer, après la conquête des deux Amériques, dans des guerres coloniales touchant l’Afrique et l’Asie. « Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures » (Jules Ferry).

La liste des diabolisations menée par l’Europe et son pendant l’Occident est longue, très longue. Après les deux bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki, qui ne sont pas des bases militaires, mais deux villes peuplées de civils, et rien qu’à partir de la deuxième guerre mondiale, plus d’une centaine de conflits ont été ouverts dans le monde par l’Occident et son bras armé l’OTAN : Guatemala, Cuba, Viet Nam, Cambodge, Laos, Brésil, Panama, Congo, Indonésie, République dominicaine, Chili, Afghanistan, Salvador, Nicaragua, Honduras, Liban, Lybie, Philippines, Irak, Somalie, Bosnie-Herzégovine, Soudan, Kosovo, Haïti, Somalie, Moyen-Orient…
Tout le monde se rappelle de la fiole d’Anthrax brandie par le secrétaire d’Etat américain Colin Powell lors d’une réunion du Conseil de Sécurité des Nations-Unies le 5 février 2003 comme preuve que l’Irak détient des armes de destruction massive. Une infox de diabolisation pour préparer l’opinion publique occidentale à l’invasion de ce pays, à sa destruction totale et à l’arrestation et l’exécution de Saddam Hussein. Une intervention que le secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan a qualifié « d’illégale, parce qu’elle violait la charte de l’ONU ». Finalement l’Irak ne possédait aucune arme chimique ou biologique, et les allégations de Washington étaient de purs mensonges.

L’actuelle guerre qui oppose la Russie et l’Occident par Ukraine interposée est un énième épisode de diabolisation à travers les mises en scène de « charniers », de maternités et d’écoles bombardées, accusant les soldats russes, sans attendre les conclusions d’enquêtes impartiales, alors que les médias occidentaux, servant de relais à propagande occidentale, ont passé sous silence les dizaines de civils qui ont quitté récemment les souterrains de l’aciérie Azofstal et qui servaient apparemment de boucliers humains aux combattants ukrainiens, toujours retranchés dans ce réduit.

De même qu’ils se sont montrés indifférents face aux 8 ans de bombardements intenses des forces ukrainiennes des populations du Donbass qui se sont soldés par plus de 13.000 morts, 30.000 blessés et 2,5 millions de réfugiés sans oublier l’extension de l’OTAN à l’est, jusqu’à mener des manœuvres militaires de provocation sous les fenêtres de la Russie qui, par la force des choses, craignait pour son indépendance et sa souveraineté nationale, devait anticiper et réagir. Par une manière brutale et maladroite, il faut le reconnaître…

*Ancien journaliste de la MAP

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