Par Ali Bouzerda
En principe, le but du grand pèlerinage est la purification du musulman, qui reçoit à cette occasion le pardon divin. En bref, le musulman qui fait un long voyage pour se rendre à La Mecque – – en général une fois de son vivant, s’il a les moyens pour – -, aspire à une retraite spirituelle loin des tentations matérielles ici-bas. Cet état des choses et des esprits, semble-t-il, fait partie déjà du passé, un passé lointain…
Et pour cause, les temps ont changé et les hommes aussi, et ce depuis l’apparition des smartphones il y a un quart de siècle boostés par les applications mobiles multi-plateformes qui fournissent un système de messagerie instantanée y compris le transfert de photos et vidéos « live ».
Sans pudeur, nombreux nouveaux musulmans de nationalités différentes passent un temps fou à prendre des « selfies » et en se vantant sur les réseaux sociaux sur l’exploit de leurs « stories ». Ils se connectent « live » des heures et des heures avec leurs proches et amis restés au pays afin de marquer leur différence… Certains diront : quel mal y a-t-il à prendre des photos à La Mecque ou ailleurs? Pour eux, ces photos visent à immortaliser, pour la postérité, des « moments uniques » dans la vie.
Ces arguments sont-ils acceptables ?
Loin de là. Les « selfies » sont à la base des comportements qui en général reflètent un nombrilisme évident et un égocentrisme pour se distinguer des « autres ». Dans ce cas de figure, les « autres » sont ceux qui ont raté l’occasion de faire le voyage vers les Lieux Saints, sachant qu’en plus des moyens financiers, il faut être chanceux à la loterie pour pouvoir bénéficier d’un visa pour le Hajj.
Par ailleurs, étymologiquement, le « selfie » vient du mot « self » (soi-même) et « la selfie » est aussi appelée égo-portrait. En d’autres termes, cet autoportrait numérique fait indirectement allusion à l’adjectif « selfish » (égoïste). À qui la faute, surement pas à Voltaire…
In fine, on arrive à la colère des autorités saoudiennes qui veillent scrupuleusement au respect de la sacralité des Lieux Saints. Le 24 avril 2022, pour la première fois, ils ont reproché » gentiment » aux pèlerins de prendre « trop de selfies », car « ils détournent l’attention du pèlerin de la révérence et de l’obéissance à Allah », a averti le ministère saoudien du Hajj et de la Omra.
À autre époque, les autorités saoudiennes auraient décrété, purement et simplement, une fatwa décrivant ce genre de choses de « pas du tout halal « . Et ils auraient raison.
Autrefois, nombreux musulmans passaient des mois et des mois sur le chemin qui mène à La Mecque. En arrivant à destination sains et saufs, il ne cachaient pas leur joie et fierté, car le voyage, malgré la fatigue, méritait le sacrifice.
De nos jours, aller à La Mecque ne nécessite pas plus que quelques heures de vol et un séjour confortable dans un hôtel à Médine ou à la Mecque même, pas loin de la Kaaba, il suffit d’avoir les moyens.
Toutefois, ne doit-t-on pas faire le distinguo entre « le tourisme », le « shopping », les « selfies » et le pèlerinage? Le Hajj est régit par des règles et des exigences de recueillement. N’est-ce pas un haut lieu de la spiritualité et de l’Islam? Tout musulman n’est-il pas invité à accéder avec humilité et sérénité à ces Lieux où le Message d’Allah a été transmis au Prophète Mohammad?