Après une rupture diplomatique de plusieurs mois, le nouveau gouvernement allemand multiplie les gestes envers le Royaume. Qui n’a pas manqué de saisir la balle au bond. Que peut espérer Rabat sur le fond ? Éléments de réponse.
Après la pluie, le beau temps ? Depuis le début de décembre, au lendemain de l’avènement d’un nouveau gouvernement en Allemagne, Berlin multiplie les signaux annonciateurs d’un rapprochement diplomatique avec le Maroc.
Le 7 décembre, dans un court message diffusé sur les réseaux sociaux de l’ambassade d’Allemagne à Rabat, la représentation diplomatique affirmait sa volonté de renouer ses relations avec le Royaume.
Fin novembre, un influent think tank allemand, Deutsches Institut für Entwicklungspolitik (DIE), plaidait déjà pour « une nouvelle approche de coopération à long terme entre les deux pays ».
Le 13 décembre, dans une note publiée sur son site internet, la diplomatie allemande soulignait « l’apport du Maroc, par son plan d’autonomie », à la résolution du conflit au Sahara, et rappelait le rôle de « partenaire clé » du Maroc en Afrique du Nord pour l’Allemagne et l’Union européenne (UE).
Nouvel état d’esprit
Autant d’appels du pied favorablement accueillis par le Royaume, qui avait rompu ses relations avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat le 1er mars 2021, avant de rappeler son ambassadrice en poste à Berlin, Zhor Alaoui, le 6 mai dernier.
VACANT DEPUIS SEPT MOIS, LE POSTE D’AMBASSADEUR D’ALLEMAGNE À RABAT POURRAIT BIENTÔT ÊTRE À NOUVEAU OCCUPÉ
Par un communiqué publié le 22 décembre, la diplomatie marocaine affirmait « apprécier les annonces positives du nouveau gouvernement fédéral d’Allemagne ».
Des « annonces qui permettent d’envisager une relance de la coopération bilatérale et le retour à la normale du travail des représentations diplomatiques de deux pays à Rabat et Berlin », souligne le texte.
Qui précise aussi que « le Royaume du Maroc espère qu’à ces déclarations se joindront des actes pour refléter un nouvel état d’esprit et marquer un nouveau départ de la relation sur la base de la clarté et du respect mutuel ».
En coulisses, la diplomatie marocaine aurait dès la publication de ce communiqué acté la fin de la rupture avec l’Allemagne. Vacant depuis sept mois, le poste d’ambassadeur d’Allemagne à Rabat pourrait bientôt être à nouveau occupé, tandis que Rabat serait prêt à renvoyer son ambassadrice à Berlin au cours du premier trimestre 2022.
Le président fédéral de l’Allemagne, Frank-Walter Steinmeier, s’apprêterait à inviter officiellement le roi Mohammed VI à effectuer une visite d’État à Berlin pour sceller la réconciliation entre les deux pays. Mais la situation épidémiologique mondiale risque de différer l’événement sine die.
Une volonté de conciliation
Tout est bien qui finit bien ? Il est trop tôt pour le dire, puisque la diplomatie marocaine a précisé qu’elle attendait des « actes » des Allemands. Rabat nourrit un certain nombre de griefs à l’encontre de Berlin. D’abord, l’Allemagne n’a pas convié le Royaume à une réunion organisée à Berlin en janvier 2020 relative au « dossier libyen » alors que le Maroc y joue un rôle actif.
Au lendemain de la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine au Sahara, le 10 décembre 2020, l’Allemagne avait affirmé que sa position restait « inchangée », et que le décision de Washington était « contraire à la légalité internationale ».
Par ailleurs, de façon plus officieuse, le Royaume souhaiterait que Berlin fasse le nécessaire pour mettre un terme à l’activisme de Mohamed Hajib, un Marocain résidant en Allemagne et détenteur de la nationalité allemande, qui a appelé à commettre des attaques sur le sol marocain en mars 2021. Rabat accueillerait favorablement une plainte contre l’intéressé par l’État allemand, même si la procédure ne devait pas aboutir à sa condamnation. Mais les autorités allemandes n’ont, à ce jour, pas relevé « d’infractions pénales concrètes ».
Enfin, le ministère de l’Intérieur marocain considère que certaines fondations allemandes présentes au Maroc – qui dépendent des partis politiques allemands – mènent parfois des politiques « d’ingérence » auxquelles il conviendrait de mettre fin.
Dans cette nouvelle dynamique de réconciliation, que peut obtenir le Maroc ? « Il ne peut rien attendre de l’Allemagne à proprement parler, tempère Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), mais les diplomates se gardent des positions trop tranchées. La rupture ne pouvait pas aller plus loin. Il faut s’assoir autour d’une table, discuter, aller vers la conciliation », estime-t-il.
Mener une politique étrangère différente de celle d’Angela Merkel, adopter une ligne plus conciliatrice, c’est justement la volonté du nouveau gouvernement social-démocrate et de sa ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, issue des rangs des Verts, pas vraiment réputés pour leur sympathie à l’égard du Maroc.
Sahara, l’inflexion allemande ?
L’agenda de la diplomatie globale n’est pas étranger à cette « évolution » de doctrine, du moins sur la forme. L’Allemagne s’apprête à présider le G7, alors que la France va prendre les rênes de l’UE en janvier 2022 pour une durée de six mois.
Dans ce contexte, le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, chercherait à réduire la marge de manœuvre des Français. « Tout ce qui pourrait singulariser la politique étrangère allemande est recherché par Berlin, qui souhaite faire autrement que Paris, sur tous les dossiers : l’Ukraine, les Balkans occidentaux, la Russie, le Libye et les questions méditerranéennes », analyse Emmanuel Dupuy.
Autrement dit, l’Allemagne veut opérer un retour sur la scène internationale en prenant le contrepied de la diplomatie française. En tant que premier investisseur européen en Afrique, elle compte bien se rapprocher du continent, disposer d’un agenda en Méditerranée (notamment pour les questions liées au gaz) et coiffer au poteau les initiatives françaises sur la Libye.
Et pour ce faire, il faut apaiser les tensions, notamment avec le Maroc. « Cela n’ira pas jusqu’à une reconnaissance allemande de la souveraineté marocaine au Sahara », précise Emmanuel Dupuy, mais le gouvernement allemand pourrait soutenir plus fortement la proposition marocaine.
IL N’EST PAS EXCLU QUE LA DIPLOMATIE ALLEMANDE PRÊTE DÉSORMAIS MOINS L’OREILLE À DES THINK TANKS PARFOIS HOSTILES AU MAROC »
D’autant plus que l’actuel président, Frank-Walter Steinmeier, deux fois ministre des Affaires étrangères, avait déjà jugé « sérieux et crédibles » les efforts du Maroc pour « promouvoir la recherche d’une solution au Sahara » lors d’une visite au royaume en 2015 et fait part de sa volonté de « mener un dialogue avec le Royaume ».
Au Parlement européen, l’Allemagne est le pays qui compte le plus de députés (96 sièges). Pour le Maroc, il est donc stratégique de ne pas rester fâché avec Berlin afin d’obtenir un éventuel appui sur le rétablissement des accords commerciaux Maroc-UE, annulés par la justice européenne fin septembre dernier.
De même faut-il s’attendre à un approfondissement de la coopération entre les deux pays sur le volet migratoire et sur la question du terrorisme, d’autant que les services de renseignement extérieur allemands (BND) sont en pleine restructuration. L’Allemagne et le Maroc pourraient en outre consolider leur partenariat énergétique, notamment à travers l’hydrogène vert qui devrait être produit au Royaume.
« Il n’est pas exclu que la diplomatie allemande prête désormais moins l’oreille à des think tanks parfois hostiles au Maroc », comme l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, qui s’inquiétait, il y a quelque temps, des « tentations hégémoniques du Maroc sur les pays du Maghreb ».
La diplomatie marocaine, quant à elle, offensive mais pragmatique, est soucieuse de rééquilibrer le dialogue tout en discutant avec le plus de monde possible, « mais elle est davantage focalisée sur la Grande-Bretagne, avec laquelle le dialogue est aujourd’hui bien plus avancé qu’avec les pays européens », conclut Emmanuel Dupuy.
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