Par Ali Bouzerda
Au Maroc, on parle de « la privatisation » de la démocratie. Certains se disent entre eux : « avec Akhannouch, c’est bientôt l’installation de la ploutocratie ». En d’autres termes, une gestion des affaires de l’État où la richesse constitue la base principale du pouvoir politique.
D’autres estiment que les élections 2021 rappellent le style matérialiste extraverti de Trump et Berlusconi, avec une différence près, bien évidemment…
Quant à l’heureux gagnant, Mister Akhannouch, lui, il doit être content et sabler le champagne chaque soir avec sa bande de Communikators 2.0. Et pourquoi pas, dirait l’autre, puisqu’il vient de réaliser le « rêve » de sa vie?
En fait, c’est un « rêve » qui a été dévoilé pour la première fois en 2016 par son « ennemi juré », Abdelilah Benkirane. Le leader du PJD a eu un malin plaisir d’annoncer publiquement que l’ambition d’Akhannouch était de décrocher la première place aux élections 2021 et de devenir le futur chef de gouvernement. Une information qui a embarrassé le chef du RNI à l’époque car c’était une discussion en privé…
« Tu ferais mieux de croire ce que je dis… et tu ferais mieux de croire que j’arrive », disait la chanson. Elle décrit bien la volonté inébranlable de l’homme fort du Souss. Contre vents et marées, il ne recule devant rien même si ça devrait coûter plus de 20 millions de dollars pour convaincre les électeurs indécis de la justesse de son « rêve ».
Sauf que la victoire, de ce mercredi 8 septembre 2021, a un goût de cendres. Il a été et continuera à être pointé du doigt par ses rivaux, notamment sur l’usage de « gros moyens » financiers et médiatiques lors de « ses campagnes » où l’éthique était reléguée au second plan.
L’homme est bien blindé, milliardaire en dollars, et surtout « généreux » en ces temps de la pandémie et de la crise économique où l’argent est devenue le nerf de la guerre. Et dans cet ordre d’idées, il faut rendre à César ce qui est à César, en reconnaissant qu’Akhannouch a peu lésiné sur « les moyens » pour écraser sans pitié ses concurrents…
In fine, une victoire à la Pyrrhus qui a triplé presque le nombre des sièges du parti de la Colombe pour atteindre 102 comparés aux 37 sièges lors du scrutin de 2016.
Bref, si Ssi Aziz (Akhannouch), comme l’appellent ses intimes, accédait personnellement à la Primature – – sachant que ses camarades Benchaaboun et Moulay Hafid Alami caressent le même rêve – -, il aura du pain sur la planche.
Akhannouch a fait beaucoup de promesses en miroitant de l’aide financière aux plus démunis…et un million d’emplois aux jeunes diplômés chômeurs qui aspirent à un avenir meilleur et à une « vie en rose » grâce aux engagements d’un richissime homme d’affaires à la tête de l’Exécutif.
Mes dames et messieurs, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient », a averti le défunt et fin homme politique français, Jacques Chirac.
Un milliardaire en dollars à la Primature, c’est nouveau au Maroc. Ne va-t-il pas un jour céder à « la tentation », s’interrogent ses détracteurs. À titre d’illustration, « l’affaire des 17 millards de dirhams », suite à la libéralisation des prix des hydrocarbures et qui aurait profité au ministre Akhannouch & Co., revient chaque fois en boucle dans les médias .
Par ailleurs, comment réagirait la rue si demain, « le gouvernement Akhannouch » devait augmenter les prix du sucre et du gaz butane, lui qui est très actif dans ces secteurs stratégiques du gaz, pétrole et oxygène sans parler de l’agro-industrie. N’appelle-t-on pas cela : conflits d’intérêts ?
À l’horizon, ne faut-il pas s’attendre à des « perturbations atmosphériques » dont les conséquences sont difficiles à imaginer, se demande un vieux militant de la gauche socialiste.
Et de souligner avec grain d’ironie : « si on ajoute la colère des barbus éjectés des rouages de l’État et leur humiliation électorale sans précédent, Akhannouch devra aller chercher la Baraka des fqihs du Souss afin de pouvoir mener à bien sa mission qui est loin d’être aisée… »
Et en parlant de barbus, les leaders du PJD ont été obligés de rendre rapidement des comptes en présentant une démission collégiale, à leur tête, Saad Eddine El Othmani.
Une démission exigée par Benkirane qui attendait au tournant son « frérot » arrogant qui le narguait pendant cinq longues années du haut de sa « tour d’ivoire » à la Primature.
Pour dire vrai, tout le monde essaie de trouver une explication rationnelle au « cataclysme » qui a ramené le PJD de la première position en 2016 à la 8ème en 2021, avec perte catastrophique des sièges à savoir de 124 à 13 sièges seulement; sans oublier l’échec cuisant d’El Othmani au quartier l’Océan à Rabat.
Une défaite sans précédent dans l’histoire de la classe politique au Maroc. Pour rappel, les pronostics les plus pessimistes s’attendaient à ce que le PJD arrive, en tout état de cause, en 3ème position après le RNI et le PAM pas de la première à la huitième place d’un seul coup.
Les analystes politiques retiennent quatre raisons qui ont abouti à cette débâcle :
- Le changement du mode de scrutin avec l’adoption du nouveau mode de calcul des résultats des votes en se basant sur le quotient électoral.
- La crise interne que traverse le parti de la Lampe depuis un certain temps, alimentée par les différends qui opposent Benkirane à El Othmani sur la gestion du parti et ses positions politiques sur des questions controversées comme la légalisation du cannabis et la normalisation avec Israël…Une démobilisation d’une partie de l’électorat PJDiste est due à ce different et à un conflit d’égo entre les deux leaders islamistes.
- La grogne et le ras-le-bol populaire face à une gestion en dents de scie des affaires de l’État, et de la crise socio-économique qui a atteint son paroxysme avec les improvisations d’El Othmani durant l’état d’urgence relative à la pandémie du Covid-19.
- Un chef de gouvernement sans charisme ni éloquence devenu la risée des réseaux sociaux à chaque impair. El Othmani a rarement réussi à convaincre le public du bien-fondé de ses décisions, contrairement à Benkirane qui était une véritable « bête politique » à la tête de l’Exécutif.
Au passage, notons que la direction du PJD tente de justifier l’échec électoral en dénonçant « l’utilisation massive de l’argent », dans une allusion à une diabolisation des candidats du RNI qui ont éliminé ceux du PJD dans nombreuses circonscriptions-bastion. Dans son dernier communiqué, le PJD évoque des résultats « incompréhensibles » et « illogiques », en prétendant qu’ils « ne reflètent pas la réalité de la carte politique… ni la position du parti sur la scène politique ni son bilan de la gestion des affaires locales et gouvernementales… »
Un point de vue discutable mais loin d’être convaincant, si on se rappelle surtout les scandales de certains ministres et élus du PJD durant le dernier mandat…
In fine, il faut admettre une chose : tellement usé après dix longues années au pouvoir, l’épouvantail du PJD ne fait plus peur y compris aux petits oiseaux…
Toute tentative de justification par le recours à la rhétorique de « la victimisation » est « nulle et non avenue », note un professeur de sciences politiques, enseignant à la Faculté de Droit de Rabat.
Ainsi, en attendant la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale, les spéculations vont bon train sur les scénarios possibles: RNI + PAM + Istiqlal, à titre d’exemple.
Et dans le sillage, on se demande qui rejoindra l’opposition aux côtés du PJD ?
Le PPS sera de la partie mais est-ce que Driss Lachgar suivra-t-il son camarade communiste dans le désert de l’opposition, lui qui a tant rêvé de placer ses rejetons dans les rouages de l’État; d’autant que son parti l’USFP a réalisé un score inattendu grâce au quotient électoral et à d’autres manœuvres comme « la discrète alliance avec Akhannouch lors de la campagne électorale », chuchote-t-on.
Mutatis Mutandis – Deux éléments qui auraient contribué à la chute libre du PJD : a – La suppression du seuil électoral de 3% et qui a fortement avantagé par le passé les islamistes de la Lampe, conjugué à l’absentéisme des électeurs. b- Furieux contre El Othmani, la direction d’Al Adl Wal Ihsane s’est abstenue de le soutenir lors de ce scrutin du 8 septembre.