Reportage / Covid-19 – Masqués… et stylés !

La vie est une scène de théâtre et le Coronavirus est venu le rappeler au quotidien. C’est ainsi quel’humain est devenu acteur en 2020. Le masque conçu principalement pour se protéger contre les virus et les infections, est devenu désormais un attribut esthétique et un accessoire de mode. Il n’est pas que protecteur, mais également porteur de message : couleurs différentes, communication à travers les yeux, appartenance à un groupe social…., le choix du masque est révélateur de nos personnalités.

Lundi 28 décembre 2020, 10h30– Il fait frais. Nous nous trouvons à Al Kamra devant la Gare Routière. Quelques secondes plus tard, un petit taxi s’arrête. Le chauffeur porteur d’une blouse marron et d’une « Taguia » noire, demande d’une voix basse, sous son masque bleu basique : « où est ce que vous allez ? ». Destination : campus Al Irfane. La circulation est légère. Nous voici devant le terminus du tramway.

Les étudiants de tout âge se pressent. La rue donne l’impression d’être un laboratoire social, mais les goûts se distinguent. Certains ont l’air de préférer les masques bleus basiques, d’autres optent pour l’extravagance : carreaux, couleur unie, motifs à fleurs… « Personnellement, je préfère les masques médicaux jetables que j’achète de la pharmacie » avance Amina qui s’apprête à boucler ses vingt ans. Assise sur les bancs dans l’attente du prochain tramway, elle ajoute que ces masques « protègent efficacement contre le virus ». Une vision plus ou moins partagée par Mohammed, étudiant en littérature anglaise, qui s’apprête à traverser la route « Pour moi, je me plais dans la simplicité. Ces masques chirurgicaux conviennent à tout ce que je porte ! ».

Pourquoi, ces masques ?

Le masque chirurgical a été porté par les médecins et les infirmiers. « Le français Paul Berger fut le premier chirurgien ayant utilisé un tel masque en 1897, lors d’une opération à Paris. D’où l’appellation « masque chirurgical » » rappelle, le sociologue et historien à la faculté des sciences économiques, juridiques et sociales de Fès, Abdelfattah Sghir, qui avait bien voulu répondre à nos questions. Il enchaîne que lors de cette crise sanitaire, les citoyens ont plus confiance dans ces masques puisqu’ils relèvent du milieu médical « ce sont les masques que nous avions l’habitude de voir ». Par ailleurs, il y a lieu de souligner que les masques sont régulièrement portés pour se protéger de la grippe…

A l’entrée de Bayt Al Maarifa, vérification obligatoire du port du masque et de la température avant l’accès aux bâtiments de la cité. Halima et Narjiss, deux amies, inscrites en sociologie, vêtues respectivement d’une « djellaba » rougeâtre et d’un voile rose dragée, d’un tailleur marron et beige, et d’une paire de chaussures noires, descendent d’un petit taxi. Elles se dirigent vers la cité. « J’estime qu’il est primordial d’assortir son masque à ses vêtements, ça fait plus élégant ! » confesse Halima en baissant minutieusement son masque fleuri. Narjiss, quant à elle, porte un masque signé d’une grande marque « je préfère me protéger du virus tout en restant raffinée» déclare-t-elle en ébouriffant ses cheveux noirs avec des reflets rouges.

Concrètement, les jeunes d’aujourd’hui tiennent à intégrer le masque dans leur mode de vie d’une manière distinguée. « Avec ce nouvel accessoire qui s’est incrusté dans nos placards, nos apparences ont changé. Les jeunes veillent à ce que leur mode d’habillement soit stylé » souligne Abdelfattah Sghir. Pour résumer la pensée de Fussler dans son ouvrage « Dressing a Man »: « tous vos efforts vestimentaires ont pour but ultime de porter l’attention sur votre personnalité. ». A l’instar d’un nœud papillon ou d’une cravate « le masque reflète notre individualité » étaye le sociologue. Tant qu’à se voir imposer un nouvel accessoire, autant le tourner à notre avantage.

Le masque remplace le sourire

Il est 12h30, l’heure de pointe. Le masque s’impose dans l’espace public et sur toutes les bouches sans distinction. Il uniformise les visages en les rendant anonymes. Nous devenons difficilement identifiables, plus de sourire, de nez, de rouge à lèvres ou encore de barbe. Désormais, ce sont les yeux qui communiquent. Les modèles travaillés peuvent aussi compenser les expressions cachées de la bouche. Le masque est « un élément essentiel dans la communication avec autrui » précise Abdelfattah Sghir. Il en tire deux conséquences : la modification du système de la rencontre (perte du sourire, de la parole et des mimiques faciles), et la compensation par des gestes de sociabilité amplifiés qui peuvent ne pas sembler naturels ou sincères. L’esthétique de l’objet peut ainsi atténuer les expressions du visage.

« Porter des modèles à motifs ou personnalisés avec de la broderie est un moyen ludique de se rassurer et de voir la crise sanitaire sous un autre prisme » certifie le sociologue. En effet, cela permet de relativiser la situation, de mieux vivre la pandémie et tout simplement d’en prendre le contrôle. « Si nous souhaitons apporter un peu de gaieté et de joie dans ce contexte particulier, fonçons sur des masques à couleurs flash. A l’instar d’un nœud papillon fun et décalé, notre masque peut être un symbole de bonne humeur » poursuit le sociologue en se marrant. Il peut littéralement remplacer notre sourire dissimulé derrière le masque. Un rayon de soleil dans ce paysage grisâtre.

Dans la réalité, ainsi, les masques peuvent porter une connotation identitaire d’appartenance à un groupe social. C’est une manière de briser la distanciation sociale imposée par la crise. « Le sport est très révélateur dans ce sens-là. Les ultras, par exemple, ont tendance à porter des masques reflétant leurs équipes de prédilection » rappelle Abdelfattah Sghir. Avec le développement des masques en cette crise sanitaire, certains affichent spectaculairement leurs centres d’intérêt en les portant : loisirs, animaux préférés, idoles…

En parlant des centres d’intérêt, certains jeunes portent le masque pour ressembler aux dessins animés des mangas, et ce avant même la pandémie. En réalité, les mangas renvoient à la culture japonaise. De ce fait, au Japon, avoir une bonne partie du visage cachée par le masque sanitaire ne pose aucun problème, même lors d’interactions sociales. Il s’agit d’une simple marque de respect et d’hygiène relativement dépendante des mœurs de la société japonaise. Cette pratique remonte à la pandémie de grippe espagnole en 1919, qui aurait causé plusieurs dégâts humains.

Le masque imposé par le covid 19 ne nous fera pas oublier le haïk et son litham. Si nous revenons un peu en arrière, dans le temps, et même dans le tempqs présent, le Haik ce vêtement qui tenait une grande place dans la société marocaine, était souvent porté avec un niqab couvrant le visage et ne laissant apparaître que les yeux. Il nous fait instantanément penser au masque de protection que nous avons tendance à styler, aujourd’hui. Symbole de décence et de pudeur, ce bout de tissus que les femmes marocaines d’autrefois mettaient, permettait de réaffirmer quotidiennement leur attachement à leur identité vestimentaire, et à leurs valeurs culturelles et civilisationnelles. Une étoffe d’une longueur de 5 à 6 mètres, tissée main, en fibres de coton, de laine ou de lin, couvrant le corps entier ainsi que la tête, le haik est un habit traditionnel mais aussi un art vestimentaire

Imane Laaroussi

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