Par : Abdellah Tourabi
En lisant le communiqué du ministère de la Communication, annonçant l’interdiction du film Much Loved au Maroc, on reste partagé entre l’amusement et la colère, le sourire devant une situation absurde et surréaliste et l’abattement face à une décision illégale et injuste. Dans cette affaire, on a eu droit à tout: de « la critique d’anticipation » qui descend en flammes un film sans l’avoir vu, à l’interdiction d’autoriser une diffusion alors que personne ne l’a encore demandée, en passant par un rapport mystérieux, qui a motivé l’interdiction, rédigé par des personnes dont on ne connaît ni l’identité ni la qualité. On nage en plein délire et les rives de la raison sont encore loin.
Mais dans ce communiqué, il y a une phrase qui résume le fond du problème: le film de NabilAyouch comporterait« une atteinte à l’image du Maroc », Selon ses censeurs, Much Loved offre une mauvaise représentation de la femme marocaine et décrit le pays comme un lupanar, un bordel à ciel ouvert. Notre problème serait donc avec le miroir, fidèle ou déformant, de notre réalité et non pas avec notre réalité et ses travers. Cette obsession narcissique de plaire au regard étranger plutôt que d’affronter ses propres démons est présente dans notre culture, notre politique et nos rapports quotidiens aux autres. C’est elle qui explique cette manie de vouloir construire la plus imposante mosquée du monde, préparer le plus grand couscous de la planète et confectionner un drapeau visible d’une autre galaxie. On vit dans le culte de la façade, du paraître, et nous portons une »oreille attentive à ce que pensera un lointain visiteur plutôt qu’à l’avis des nôtres.
Sauf que ce qui porte vraiment atteinte à l’image de notre pays, ce sont ses propres réalités et non pas leur représentation. Ce qui nuit au Maroc sont ses écoles et son système éducatif qui produisent une médiocrité profonde et structurelle; ce qui nous fait du tort sont les inégalités sociales et la misère qui poussent des milliers de nos concitoyens à vouloir quitter le pays au péril de leur vie; ce qui plombe le pays est son élite opportuniste et invertébrée ; ce qui nous couvre de ridicule sont ses responsables politiques incapables de tenir un discours clair et intelligible à l’étranger ; ce qui nous plonge dans la honte sont les maisons qui s’effondrent et les enfants qui meurent dans des accidents de la roue sans que personne n’en soit jamais responsable. Le catalogue de nos déchéances est long et son inventaire douloureux. Et ce n’est pas un film, bon ou mauvais, qui va y changer grande-chose.
C’est notre réalité qui est laide et non pas son reflet et son miroir.
Article19.ma/TelQuel