Par Noury Adib
Je me suis permis d’emprunter partiellement le titre du roman de l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez « L’Amour aux temps du choléra » non qu’il traite d’une épidémie beaucoup plus ancienne et meurtrière que celle que nous vivons en ces jours, mais parce que le titre comporte une métaphore qui peine à exprimer les rapports délicats et complexes entre les humains en période de crise.
D’ailleurs, le meilleur chef-d’œuvre du prix Nobel de littérature, ne traite nullement du choléra. C’est l’histoire d’un amour à sens unique entre le personnage principal et une fille qui lui sera ravie plus tard par un médecin qui sera occupé un certain temps par la maladie du choléra…
Le coronavirus me rappelle aussi certaines ouvres ayant l’absurde pour thème, particulièrement chez George Orwell et Franz Kafka. Sauf que l’absurde dispose, cette fois-ci, d’un nom : le pouvoir politique et les médias se trouvant sous sa coupe.
À un ami qui m’a demandé pourquoi la maladie avait pris une telle ampleur en Italie, je lui ai répondu, avec un certain humour, que c’était à cause du baiser échangé entre les jeunes amoureux à longueur de journée dans la péninsule. Je lui ai expliqué, sur le même ton d’ironie, que parmi les baisers les plus célèbres en Italie figure aussi le fameux et funeste baiser de la mort, pratiqué par le parrain mafieux sur un membre de son clan pour lui signifier que son exécution a été décidée pour cause de trahison…
L’effet du baiser de l’Amour est patent quand on constate que, jusqu’à la semaine dernière, l’Inde, qui compte pourtant une population beaucoup plus grande que l’Italie, soit 1,3 milliards contre seulement 60 millions, n’a enregistré qu’une quarantaine de cas déclarés et aucun décès encore, alors qu’il s’agit d’une population pauvre dans sa grande majorité et dont les conditions d’hygiène laissent beaucoup à désirer.
Il suffit de se rappeler les images du Gange, le fleuve sacré qui reçoit quotidiennement un demi-millier de cadavres humains et une dizaine de milliers de carcasses d’animaux qui y sont abandonnés, pour commencer à douter et à croire aux fables qui prétendent que la « sacralité résiste aux maladies dues à la pollution et à l’insalubrité ».
Bien que le premier baiser sur les lèvres dans l’histoire de l’humanité ait été mentionné dans la littérature indienne vers 1500 av. J.-C, cette expression sensuelle de l’amour sera interdite, particulièrement en public et au cinéma, juste après l’indépendance. Les nationalistes indiens considéraient cet acte comme « antipatriotique », car « symbolique de l’occidentalisation et ses mœurs dépravées » !
Qu’il soit d’origine naturelle ou humaine, fortuite ou intentionnelle, le coronavirus fera date dans l’histoire de l’humanité, à commencer par la remise en cause de la mondialisation « heureuse » enfantée par le néo- libéralisme marchand.
C’est le ministre français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire qui a, le premier, annoncé la couleur.
Invité du Grand entretien de la matinale sur France Inter, le 9 mars dernier, le responsable français a affirmé que « la crise du Coronavirus est presque plus une crise économique qu’une crise sanitaire ».
Pour lui, « Il y aura dans l’histoire de l’économie mondiale un avant et un après coronavirus. Je pense qu’il faut que nous tirions sur le long terme toutes les conséquences de cette épidémie sur l’organisation de la mondialisation. Il faut réduire notre dépendance vis à vis de certaines grandes puissances comme la Chine. On ne peut pas avoir aujourd’hui 80 % des principes actifs d’un médicament produits à l’étranger ». La messe est dite !
Cette dépendance a été clairement expliquée par l’économiste Sébastien Jean, directeur du Centre d’expertise et de recherche sur l’économie mondiale : « Il y a eu des pénuries, par exemple de matériel médical.
Que s’est-il passé en Chine ? Les autorités ont interdit à certains fournisseurs d’exporter. C’est ce lien de dépendance auquel on peut être soumis. On est dans une situation où on s’appuie trop sur les importations, mais sur des produits stratégiques. »
Parce que le poids de la Chine dans l’économie mondiale a aujourd’hui plus que doublé depuis 2003 (date de l’épidémie du SRAS), elle représente environ un cinquième du PIB (près de 20%) contre 8,7 % en 2003, leur répond Alice Ekman, responsable de Chine à l’Institut Français des Relations Internationales.
L’Occident, et à sa tête l’imprévisible Donald Trump, cherche par tout les moyens à endiguer la croissance époustouflante de la Chine dont toutes les prévisions annonce qu’elle détrônera les USA à partir de 2030 et occupera la place de première puissance économique mondiale…
C’est peut-être pour cette raison que certains avancent la possibilité que le coronavirus ait été inventé par les laboratoires des services de renseignements américains dans le but d’ouvrir le front d’une guerre bactériologique contre la Chine, après l’échec des sanctions et des mesures protectionnistes de Washington à l’encontre de Pékin.
Les hypothèses vont bon train, mais il faut reconnaître que jusqu’à présent la Chine a fait preuve de beaucoup de sang froid et de pragmatisme dans la gestion de toutes les crises auxquelles elle a été confrontée dont l’actuelle pandémie du coronavirus.
La récession économique et les crashs boursiers ont fait et feront des dégâts en centaines de milliards de dollars.
Le grand perdant est sans l’ombre du doute le Capital, ce parieur, qui cherche à tirer profit de toutes les tables de jeu de la mondialisation, le casino planétaire, qui a, sans le vouloir, enrichi son principal ennemi, la Chine, en optant pour la délocalisation enrichissante, se souciant peu des millions d’emplois détruits en Occident.
Il faut désormais compter avec la Chine et se rendre à l’évidence que l’État-providence n’est pas morte avec la chute du mur de Berlin et la dislocation du bloc de l’Est.
Le retour progressif à l’État-providence est plus que nécessaire, car il permet aux gouvernements d’intervenir économiquement et socialement et exercer un pouvoir de régulateur, contrairement au néolibéralisme qui cherche à le confiner dans le rôle d’État-gendarme se limitant aux fonctions régaliennes à savoir la justice, la police et la défense nationale.
L’Empire du Milieu a trouvé mieux : une nouvelle forme de gouvernance appelée « économie socialiste de marché » où capitalisme et contrôle politique se côtoient en une entente qui leur a permis d’atteindre un taux de croissance à deux chiffres ! Avec un pic à 14 % en 2007, alors que la croissance moyenne des pays européens est de moins de 2 %.
L’après coronavirus devrait, à mon sens, pousser l’humanité, particulièrement les classes dirigeantes de l’Occident, dont la légitimité est de plus en plus contestée, ainsi que la démocratie représentative qui les porte au pouvoir, à remettre en cause son comportement vis-à-vis du réchauffement climatique qui condamnera la terre à imploser un jour.
L’amour du prochain, qui consiste en ce cas de figure, à tout mettre en œuvre en vue de laisser aux générations qui vont nous succéder un climat propre, leur permettant de mener une vie digne de ce nom, nous impose de revoir nos calculs et de nous opposer farouchement au libéralisme sauvage qui se soucie plus du marché et du profit que de la santé des humains et du devenir de la planète terre.
En attendant, tous les amoureux, notamment les Italiens doivent apprendre à se toucher du regard, eux qui chaque soir, vers 18 heures, ouvrent leurs balcons et leurs fenêtres, sortent leurs instruments de musique et commencent à scander leur hymne national et répéter des chants montrant leur vif attachement à la vie…
Un bon exemple pour narguer la peur. Il est révolu le temps où les épidémies emportaient des dizaines de millions de vies telle la grippe espagnole de 1918 qui a fait presque une centaine de millions de victimes…
Avec moins de 10.000 morts jusqu’à présent, le coronavirus n’est rien en comparaison avec la bombe de Hiroshima qui a décimé, en quelques secondes seulement près de 150.000 victimes parmi la population civile !