Par Belkassem Amenzou
Le sentiment de précarité augmente dans pratiquement toutes les contrées de la planète. Un constat hallucinant que le sociologue français, Pierre Bourdieu avait soulevé vers la fin des années quatre-vingt-dix. «Il est apparu clairement que la précarité est aujourd’hui partout», a-t-il dit d’emblée dans son intervention lors des Rencontres européennes contre la précarité à Grenoble en 1997.
Paradoxes
Le constat du sociologue français (1930-2002) serait tiré des paradoxes qui caractérisent le système de gouvernance du monde d’aujourd’hui où les moteurs de la croissance ne cessent de se rénover, de se mondialiser et de se performer, créant des richesses et générant de la croissance, mais tout en aggravant la précarité. Ainsi, «Ceux qui, de plus en plus nombreux, ne travaillent pas et ceux qui, de moins en moins nombreux, travaillent, mais travaillent de plus en plus», a fait constater le sociologue français. De même, ceux, qui profitent de plus en plus des richesses de ce monde, sont de plus en plus moins nombreux, alors que ceux, qui y contribuent sans en tirer profit, sont de plus en plus nombreux. Ce paradoxe, qui interpelle à plus d’un titre, est d’ailleurs confirmé par les statistiques des institutions mondiales.
Famille désagrégée
Le champ de cette précarité ne se limite pas seulement au monde du travail et des richesses, mais s’est considérablement élargi à pratiquement tous les domaines de la vie pour atteindre l’échelle des valeurs. Ainsi, la famille ne reste «soudée», dans plusieurs cas, que pendant que les enfants ont besoin du soutien matériel de leurs parents. Par la suite, le lien n’est que conventionnel dans la plupart des cas, comme l’avait souligné, dans «Le Contrat social», le philosophe français, Jean Jacques Rousseau, l’un des pères fondateurs de l’idéologie dominante d’aujourd’hui. L’attachement à la famille est ainsi devenu précaire. Dans ce sillage, la notion de maison, de Demeure, est en train de prendre une autre connotation. La famille déménage facilement et change de contexte social et culturel. L’enracinement dans le quartier ou dans la ville ou même encore dans le pays s’est, à son tour, «précarisé». En fait, la culture de l’individualisme a coupé ce cordon ombilical, effaçant toute différence qui fait la différence, pour formater et transformer l’être en un simple consommateur libre uniquement pour consommer et consumer. C’est la devise régnante. Le tout obéit à cette loi.
Précarité sentimentale
Même les relations amoureuses d’aujourd’hui sont conditionnées, dans la plupart des cas, par cette idéologie dominante. Le sentimental s’est chosifié et devenu consommable et jetable. La femme ne se sent plus belle et plus vivante dans les bras de son amour par une connexion spirituelle et un magnétisme voluptueux, mais y débarque avec l’idée forgée dans le monde du travail d’aujourd’hui, lui assimilant qu’elle ne ferait pas carrière dans cette relation.
Elle est constamment à la page en train de multiplier les offres sans perdre de vue les demandes qui lui sont faites. Ce que fait de l’autre côté son compagnon du jour ou de toujours. Tout simplement parce que la connexion entre eux est frappée de précarité. Même dans les cas où l’union est institutionnalisée, il n’y a plus d’engagement à proprement parler. Car, en plus du stress, de la pression du quotidien et de la subordination sociale, chacun arrive avec de lourds engagements envers d’autres institutions bancaires et autres.
Ce qui impacte le foyer et précarise la vie, provoquant l’envie de voler ailleurs. Cet état de fait pousse les femmes à croire que les hommes ne tombent plus amoureux. Du coup, tous les moyens leur semblent bons pour les préserver. Ce qui fait penser aux hommes, affaiblis par le poids des charges sociales, que les femmes se ressemblent.
Résultat des courses : la cellule familiale agonise. Le père est devenu une seconde mère, renforçant la «régence» de la famille qui n’est guidée que par la consommation, comme l’a formulé l’écrivain français, Eric Zemmour dans son ouvrage, «Le Suicide français». Remplir le réfrigérateur. A ce titre, l’enfant, ayant acquis des droits sur ses parents, est élevé avec une fibre capricieuse, sans immunité culturelle et intellectuelle. C’est la postmodernité. Croissance, consommation et précarité. Qui dit mieux ?