Que faire, quand un ministre de tutelle « menace » les journalistes ?

Par Ali Bouzerda


Drôle de situation. Parfois, on a l’impression d’avancer à reculons dans une scène de « Back to the future » (Retour vers le future). Ce chef-d’œuvre américain de science-fiction évoque en fait comment un Docteur doit résoudre des « paradoxes temporels » en remontant le temps…

Remonter le temps, c’est faire marche arrière en pensant trouver rapidement la « solution magique » au problème posé, et ce, comme veut le faire actuellement l’un de nos nouveaux ministres, un novice parmi les novices…

Certains peuvent arguer qu’un ministre a « le droit de se défendre » même quand il a commis « une ou plusieurs gaffes ». C’est discutable, toutefois ce qui est curieux, c’est « un silence » qui s’apparente à celui des agneaux « heureux » et qui devient pesant après la fameuse « menace » ferme et sans ambiguïté de notre ministre, bardé non seulement d’un doctorat mais de deux: la première en « Études géopolitiques » et la seconde en « Ressources humaines ».

Avant d’aborder l’incident de cette « menace » en détails, il est à souligner que « le silence des agneaux » a été emprunté au thriller « The silence of the lambs » du journaliste et romancier américain, Thomas Harris, qui relate l’histoire d’une jeune étudiante du FBI à la recherche d’un dangereux « psychopathe… ». A noter, que le « psychopathe » ne nous intéresse nullement ici, c’est plutôt, « le silence » au sein de la vaste corporation des journalistes qui a attiré l’attention.

+ En bref, de quoi s’agit-il? +

Le ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture et porte-parole du gouvernement, M. El Hassan Abayba est, semble-t-il, très « allergique » aux critiques et ne le cache pas d’ailleurs. En un mot, il n’aime surtout pas qu’on évoque ses « impairs », et moins encore qu’on les commente dans les journaux. Question d’image oblige, pour ne pas dire la peur qui fait couler des sueurs froides à cause d’une « grosse gaffe » par accident qui pourrait lui coûter sa carrière ministérielle et politique, car il caresse aussi le rêve de devenir un jour « le leader » de l’Union Constitutionnelle, et pourquoi pas, se dit-il?

Un caprice… Monsieur le ministre, dès qu’il s’aperçoit qu’un journaliste a posé une question « malveillante », il voit rouge et aurait à cet instant souhaité être à son ancien poste à la faculté face à ce genre de « rabat-joie » pour pouvoir lui donner « un zéro pointé » au stylo rouge. Le rêve a toujours été d’affirmer son autorité face à « l’insolence » et le manque de « discipline » de certains journalistes, surtout qu’on est à la tête de quatre portefeuilles ministériels sans oublier celui de parler au nom du gouvernement El Othmani.

Sans risque de se tromper outre mesure, ainsi doit penser l’ancien « mouaalim » (enseignant à la Faculté à Rabat), sauf qu’il n’est plus là-bas pour intimider les étudiants ni pour rendre les plus récalcitrants parmi eux « conciliants » avant de les faire passer sous les fourches caudines dans l’espoir d’en faire des « rossignols »…

Bref, lors de son point de presse hebdomadaire, M. Abayba a livré le fond de sa pensée par cette expression sibylline : « Je tiens à vous rappeler qu’il n’y a pas de prescription pour l’offense … » et d’insister sur ce point précis, avant d’ajouter qu’il était « ouvert au journalistes » et bien évidemment « tolérant ». Une manière qui ne manque pas de finesse pour faire passer le message et faire avaler « la pilule amère » à ceux qui ont bien voulu le croire.

Des jeunes journalistes présents lors de cette rencontre n’ont pas caché qu’ils ont été effectivement « intimidés » au point de vouloir dégager la piste le plutôt possible.

Ces jeunes ne savaient pas encore que M. Abayba est un homme « discipliné » qui ne tolère pas que des journalistes prennent la parole sans sa permission car le ministère où se déroule la conférence de presse n’est pas un souk ou un moulin.

D’ailleurs, il se rappelle souvent qu’à la faculté de Rabat les cours étaient réglés comme du papier à musique: les élèves écoutaient sagement et levaient leur doigt en attendant qu’on leur fasse signe de poser la question… et pas n’importe quelle question. Sinon, le prof risque de se fâcher et c’est l’épée de Damoclès.

In fine, c’est cette épée de Damoclès que le ministre aurait ramené dans ses bagages pour la suspendre au dessus des têtes des journalistes peu malléables ou qui refusent de chanter comme des « rossignols ».

Monsieur le ministre, les journalistes ne sont pas des « rossignols » qui chantent du matin au soir les louanges de l’Executif, et moins encore des violonistes de « laâm zine » (Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes) au service du Cabinet El Othmani & Co.

A noter que si le ministère de la Communication a disparu physiquement, notre nouveau ministre l’a fait renaître de ses cendres à la Cité Al Ifrane en réinstallant le décor, le pupitre et le micro du point de presse hebdomadaire dans une nouvelle salle, tout en supprimant le « Live audiovisuel » que diffusait régulièrement la MAP à partir de son siège.

M. Abayba veut à sa manière rappeler les médias toutes tendances confondues : « Oui, il y a eu un changement dans votre secteur… mais il a été opéré à ma manière, et ce, afin d’éviter tout dérapage…».

+ La messe est dite, il n’y a plus rien à espérer +

Au Maroc, pas plus d’une demi-douzaine de sites d’information seulement – – sur des centaines à travers le Royaume – -, ont osé évoquer cette regrettable et sérieuse « menace » qui rappelle une époque révolue.

Curieuse situation au moment où les pouvoirs publics parlent et reparlent sans cesse avec un certain « sérieux » de la déontologie, du respect de la liberté d’expression et de l’indépendance de la presse dans une démocratie « en transition » …

In fine, il faut dire un petit mot gentil : tirons chapeau à M. El Othmani pour le choix du profil que l’Union Constitutionnelle a eu la gentillesse de mettre à sa disposition pour les deux années à venir, afin de renforcer sa nouvelle équipe dite « des compétences », notamment dans le secteur de la communication et des relations avec la presse.

Autrefois, l’homme fort de la Chouïa, était convaincu que « le mal vient des journalistes » et que le monde serait « heureux sans eux ». Une fois, il est allé jusqu’à dire qu’il y avait « des subversifs » parmi ces énergumènes.

Et dire que les vieux réflexes autoritaires ont vraiment disparus depuis cette triste époque?

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