Éclairage – « Accorder une rente aux pauvres sous forme de soutien financier ne les rendra pas productifs, mais de simples consommateurs » (Expert)

Controverse – L’économiste marocain Omar Kettani estime que le gouvernement poursuivra sa politique d’emprunt extérieur pour couvrir les incidences de la loi de finances 2020, emprunt qui pourra atteindre le cas échéant 1 milliards de dollars, car tout dépend de la pluviométrie et du secteur agricole en général.

Dans une interview publiée par le site arabophone Hespress, Kettani considère que « le recours excessif« du gouvernement à l’emprunt extérieur « est négatif et aura de mauvaises répercussions à l’avenir », saluant, par ailleurs, la sonnette d’alarme tirée par Wali Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri pour qui si le Maroc continue sur cette voie il risque de retrouver « le scénario de 1980, à savoir retourner à la politique d’ajustement structurel. Ce qui signifie que ce sont les institutions internationales qui géreront l’économie marocaine en échange de prêts pour payer les salaires des fonctionnaires et élaborer le budget ».

« Nous nous dirigeons vers ce scénario pour d’autres raisons, dont le fait que l’État investit beaucoup, mais que la productivité ne dépasse pas les 3% », a-t-il souligné soutenant que « la raison en est l’économie de rente et la solution ici consiste à adopter une politique d’austérité en réduisant tous les privilèges non productifs sur le plan économique, de sorte que les recettes de l’État suffisent à couvrir les dépenses ».

« Afin de payer nos dettes, qui représentent 82% du produit national, les Marocains ne doivent plus manger, ni boire ni dépenser pendant une année entière, car la dette accumulée est importante, mais nous voyons toujours le gouvernement continuer à recourir à l’emprunt », a-t-il relevé.

Pour lui, « le projet de loi de finances actuel reprend les mêmes politiques antérieures, à savoir le recours à des prêts extérieurs et des investissements sociaux au travers de petits projets à faible rendement ».

« De plus, l’État n’a pas compris qu’en œuvrant à la mise en place d’un soutien financier direct, après la suppression de la Caisse de compensation, cela aura de graves répercussions, car il constituera une rente pour les pauvres, en contrepartie de la rente dont bénéficient les riches et les hauts fonctionnaires et de la rente des agréments d’exploitation. En d’autres termes, cet argent n’a aucune productivité et n’a aucune incidence sur l’emploi des jeunes ».

+ 40% de la population vit encore dans la campagne +

Il a également fait remarquer que la plupart des investissements de l’État sont effectués en milieu urbain et que même lorsque cet investissement existe en milieu rural, il concerne uniquement le secteur agricole.

« Il s’agit d’une des plus grosses erreurs, car quand nous enregistrons une faible pluviométrie l’agriculteur ne produit rien », a-t-il affirmé, ajoutant que 85% de la pauvreté se trouve en milieu rural et qu’il aurait fallu en prendre compte dans les lois de finances depuis plusieurs années.

Pour lui, « accorder une rente aux pauvres en forme de soutien financier ne les rendra pas productifs, mais de simples consommateurs ». Il estime que l’État devra plutôt éduquer et former les jeunes sans emploi dans le monde rural et les aider à devenir productifs, mettant l’accent sur la nécessité d’investir dans les ressources humaines à travers la formation professionnelle et convertir les 150 villages les plus importants du Maroc en villes dotées de services de base, car le manque de ces services incite leurs habitants à s’installer dans les villes.

Concernant la question du faible taux de croissance que connaît le Maroc, il a soutenu que l’un des facteurs est celui de la faiblesse du rendement des investissements à cause de l’économie de la rente, relevant que le coût de nombreux programmes et projets d’investissement s’avère plus élevé que le coût réel alors que, malheureusement, les responsables ne sont pas tenus de rendre compte de leurs actes.

+ Il faut l’investissement social dans la campagne +

L’autre raison est que la croissance dépend de la pluviométrie, car 40% de la population vit dans la campagne alors que, selon les normes internationales, 10% de la population dans les campagnes peuvent nourrir 100% de la population, « ce qui signifie que nous avons 30% de plus avec une faible productivité à cause de l’analphabétisme ».

« Chaque année, nous prévoyons une croissance sur la base de 70 millions de quintaux de céréales, ce qui signifie que la croissance économique dépend de la production d’un secteur agricole ne représentant que 13% du revenu national », a rappelé Kettani.

Interrogé sur les gouvernements venus après la constitution de 2011, il a indiqué qu’ils étaient tous des réformistes, mais qu’ils se sont confrontés au « système capitaliste rentier qui exploite l’économie avec le soutien de l’État ».

« Nous discutons aujourd’hui d’un nouveau modèle de développement et je pense que l’alternative est l’investissement social dans le monde rural par l’État, avec la contribution du secteur privé et de la société civile », a-t-il affirmé relevant que cet investissement pourrait être soutenu par plusieurs initiatives dont le Fonds du Zakat, le Fonds Waqf et la mobilisation d’un fonds spécial.

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