Maroc: Une rentrée politique 2019 pas comme les autres

Par Ali Bouzerda

Il ne faut pas prendre les vessies pour des lanternes, dit-on. Et pour cause, le remaniement ministériel dont on parlait, depuis des mois, a enfin eu lieu mais laissant toutefois sur leur faim un bon nombre d’observateurs et d’hommes politiques. D’ailleurs, les médias et analystes ont tellement parlé en long et en large de ce changement poussant les gens à « rêver » d’un véritable gouvernement de « technocrates » avec une baguette magique…

In fine, le lapin que le fqih a sorti de son chapeau, a plutôt réaffirmé la position des politiques qui tiennent toujours le haut du pavé, avec bien évidemment la part du lion aux islamistes du PJD.

Notons au passage, avec 24 portefeuilles contre 39 auparavant, c’est le gouvernement « le plus resserré » depuis l’indépendance du Maroc en 1956. En plus, quatre bonnes femmes y siègent en comparaison avec le gouvernement de Benkirane en 2011 où il n’y avait qu’une seule ministre.

Heureusement que les temps ont bien changé depuis, dirait l’autre.

Si la passionaria de la gauche marocaine, Nabila Mounib n’a vu dans le nouveau cabinet, qui s’est délesté de près de la moitié de ses membres, qu’un simple « poisson de septembre », le trublion du PAM, Abdellatif Ouahbi a été plus sévère en s’attaquant aux 10 ministres technocrates qui viennent de mettre le pied à l’étrier.

« La constitution du nouveau gouvernement avec ses ministres technocrates n’a pas été élaborée sur des bases politiques et juridiques saines… le pays va payer cher ce choix », relève-t-il.

Ouahbi, qui s’est toujours opposé à l’idée d’un cabinet de technocrates, a dit aux journalistes : « L’architecture de ce gouvernement constitue un échec total pour El Othmani… »

Dans cet ordre d’idée, El Othmani a été sectaire en écartant Abdelkrim Benatiq, ministre délégué chargé des MRE, en le remplaçant par une militante du PJD. « La dame n’arrive même pas à aligner deux phrases en français… et c’est le même cas en anglais », s’indigne un cadre de son ministère.

N’oublions pas que Driss Lachgar, secrétaire général de l’USFP n’a pas bougé le petit doigt pour plaider en la faveur de son jeune ministre afin de le maintenir à ce poste sensible. Benatiq a dynamisé ce ministère et mis en place une stratégie à long-terme en faveur des Marocains du Monde, affirme-t-on.

« Une chose est certaine, rien ne sera comme avant car tout sera remis en cause par la nouvelle locataire islamiste… », prédit la même source.

Par ailleurs, au sein même de la coalition gouvernementale, des voix du RNI qui ne semblent pas satisfaites du nombre de portefeuilles accordés au parti de la Colombe, accusent El Othmani de profiter de la plateforme de la Primature pour « régler les comptes » avec ses adversaires.

L’allusion est faite ici au choix et nomination du controversé jeune loup, Mohamed Amekraz, au poste de ministre de l’Emploi. Ce dernier, était jusque-là, le leader incontournable de la Jeunesse du PJD et allié loyal de Abdellilah Benkirane.

Et en termes plus clairs, El Othmani aurait ainsi « tiré le tapis sous les pieds » de Benkirane en amenant Amekraz dans son camp afin de neutraliser le soutien politique et moral de la Jeunesse du parti de la Lampe dont bénéficiait largement l’ancien leader.

Maintenant, le fqih Soussi dispose tranquillement de l’appareil du parti et de sa Jeunesse, note-t-on.

Et cerise sur le gâteau, El Othmani dispose en outre d’un cabinet restreint et « très efficace » qui peut mieux faire. Par conséquent, notre heureux chef de gouvernement n’a qu’à montrer aux marocains « hennat yddih » (le henné de ses mains), comme on dit.

Mais en attendant de voir les choses se concrétiser sur le terrain, Benkirane, lui, dans son petit coin au quartiers Les Orangers à Rabat, broie du noir et s’abstient de commenter les changements en cours.

Mais il ne faut pas se leurrer, le bonhomme n’est pas « out of the game », il est en train de planifier ses sorties médiatiques; et en animal politique, il attend patiemment son heure. Parions qu’il ne manquera pas de créer tôt ou tard des surprises et pas « les surprises » politiques dont parle El Othmani…

Et parlant toujours de politique, « la démission » inattendue du patron de la CGEM, Salaheddine Mezouar continue de faire couler de l’encre.

En bon basketteur, Mezouar a essayé de marquer un but mais il semblerait qu’il a déchiré le filet. D’ailleurs, les avis sont partagés à son sujet, notamment entre « le droit de réserve » avec l’obligation de non-interférence dans les affaires internes et sensibles (armée et barbus) chez nos voisins algériens et le droit de s’exprimer librement comme homme d’affaires sur une thématique politique qui concerne tous les Maghrébins.

L’ancien ministre des Droits de l’homme, Mohamed Ziane a plutôt soutenu Mezouar et « son droit à s’exprimer librement » sur ce qui se passe à l’Est, une position qui a été partagée, ce mardi 15 octobre,  par les directeurs de la rédaction d’Assabah et Adare respectivement Khalid El Hourri et Mustapha El Fann.

Rappelons à titre de comparaison, les hommes politiques algériens en fonction ne ratent pas les occasions pour casser du sucre sur le dos du Maroc. Le dernier scandale à ce propos remonte à fin 2017, quand Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères, avait accusé Royal Air Maroc de transporter «autres choses que des passagers» en Afrique, allusion faite à un trafic de haschich. Le gouvernement algérien « n’a pas présenté d’excuses officielles pour cette diffamation gravissime… », selon des internautes qui ont sympathisé avec Mezouar.

Loin de cette polémique, et en réécoutant les paroles de Mezouar, lors de ce débat organisé à Marrakech par le prestigieux Policy Center, affilié au Groupe OCP, on a l’impression que l’homme politique a pris le dessus sur l’homme d’affaires. Et tout porte à croire encore que Mezouar aurait oublié qu’en donnant des leçons à son auditoire sur l’islamisme et les islamistes au Maghreb, y compris « chez nous », dit-il, a agi comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

La preuve: le ciel lui est tombé sur la tête… et sans pitié.

Et chuchotant cette sagesse à l’oreille de Mezouar : On peut être bon et même excellent en basket-ball, mais en politique, quand on a « grandi » et « pris de l’étoffe » à l’ombre du Makhzen, ce n’est pas garanti…

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