Portrait – El Abdi, le plus célèbre des bouquinistes au Maroc ***

« Même si je ne sais pas lire, il me fait goûter au plaisir de la lecture à chaque fois que je passe par ici et le vois ravi de tenir un livre et le lire attentivement », c’est en ces termes qu’un passant du Boulevard Mohammed V parle du plus célèbre bouquiniste de Rabat. 

Il lit avec une telle passion qu’il vous donne l’envie de la lecture, il vous surprendra par sa capacité d’analyse qui renseigne sur sa grande culture générale. Parfois la langue arabe le trahit et il recourt à la langue de Molière pour exprimer son point de vue, même s’il avait quitté les bancs de l’école alors qu’il n’avait que 12 ans.

Mohamed Azizi (71 ans), surnommé El Abdi, son père étant originaire d’Abda, est le plus vieux vendeur de livres d’occasion de l’ancienne médina de Rabat. C’est depuis plus de trois décennies que le livre tient compagnie à Mohamed Basma qui affirme: « le livre est mon ami ».

El Abdi doit beaucoup aux livres d’occasion

Avec un grand sourire et des yeux rayonnant, Mohamed reçoit ses clients étudiants auxquels il suffit d’évoquer le nom d’un poète ou d’un écrivain comme Khalil Gibran, Tawfiq Al Hakim, Taha Hussein et Mikhail Nouaima… pour qu’El Abdi cite leurs plus importantes oeuvres et même raconter ce qu’il a gardé en sa mémoire des faits et détails de certains de leurs écrits, ce qui dénote de sa passion pour le livre.

Bien qu’il parle couramment le français, il préfère lire les livres en arabe car « c’est une langue pure contrairement aux autres langues qui empruntent au latin en plus du fait qu’elle s’adresse beaucoup aux sentiments ».

Là, Mohamed se rappelle: « J’ai lu le roman ‘Paul et Virginie’ mais je n’ai pas été touché comme je l’étais lorsque j’ai lu sa traduction en arabe ». Il s’agit du roman « Al Fadila »  traduit du français par Mustapha Lotfi El Manfalouti, un roman qui a profondément touché El Abdi: « J’ai versé des larmes alors que je le lisais ». Il a éprouvé les mêmes sentiments à la lecture des livres « Le Trône de Satan, Le Triangle des Bermudes et les Plateaux Volants » de Mansour Abdelhakim, et « Les Misérables » de Victor Hugo qu’El Abdi a relu environ dix fois.

Des géants du roman français, il passe à un autre sujet celui des erreurs les plus répandues dans la langue de Molière. « Il me semble parfois que je suis devant un professeur de français », affirme Sarah, une étudiante qui fréquente souvent le magasin d’El Abdi pour acheter des livres d’occasion.

Ses liens étroits avec le livre et son rêve d’enfance d’enseigner les jeunes générations l’ont poussé à refuser des offres d’emploi qui lui auraient peut-être permis d’avoir un revenu régulier supérieur à celui dont il dispose actuellement. « J’ai adoré ce métier », affirme Mohamed.

A l’origine ce fut les Westerns

Sa grande passion pour le 7ème art depuis qu’il était enfant et son admiration pour plusieurs figures du cinéma américain et des géants du western comme Gary Cooper, Kirk Douglas et John Wayne lui a valu de disposer d’une grande collection de magazines de cinéma.

« J’étais un habitué des salles de cinéma les dimanches. À cette époque, j’allais à Bab El Mellah pour l’acquisition des magazines comme « Ciné Film », « Ciné revue », et « Mon Film » et de magazines de bandes dessinées, dont j’en garde un certain nombre encore aujourd’hui », dit El Abdi, qui est père de six enfants avec un sourire enfantin après avoir trouvé dans la pile des livres usagés un ancien numéro de Kiwi.

Après avoir été obligé de quitter les bancs de l’école avant la dernière année du premier cycle du secondaire, Mohamed a décidé de vendre les numéros dont il disposait des magazines susmentionnés, mais les bouquinistes lui ont proposé un bas prix ce qui l’a poussé à les revendre lui même sur les trottoires des rues de Rabat.

Il a depuis essayé de réduire ses dépenses pour pouvoir, après 13 ans environ, acquérir un petit magasin où il passe désormais sa journée parmi les livres d’occasion, assis par terre avec un livre entre les mains, la recherche du savoir est synonyme de la sagesse pour El Abdi qui déplore que de nombreux Marocains ne connaissent pas la valeur du livre et de la culture.

El Abdi a fait de sa humble boutique un temple de la pensée, c’est un bouquiniste exceptionnel constamment plongé dans les mondes de la littérature, nourrissant son esprit avant de nourrir l’âme du destinataire du livre d’occasion, ce qui en fait un fidèle au métier qui l’a sauvé de l’ignorance.

*** Par Chaimae Mohamed

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