Une lecture de la crise vénézuélienne à la lumière des indices économiques et de l’influence des pôles internationaux

Par Abdellah Boussouf

L’autoproclamation par le président du parlement vénézuélien Juan Guaido comme chef par intérim de l’Etat du Venezuela en janvier 2019 en remplacement du président Nicolas Maduro ne peut être considérée comme un événement politique surprenant malgré son écho retentissant au niveau des alliances politiques, de la bourse, des affaires et des relations internationales, mais un fort séisme politique résultant des nombreuses accumulations et équations politiques et économiques au niveau des relations internationales.

Ce n’était pas une surprise en raison de la disposition psychologique de toutes les composantes de la société vénézuélienne, d’autant que tout le monde attendait une réaction à la suite de l’élection présidentielle de mai 2018 et les réactions qu’elle a suscité après la victoire de Nicolas Maduro pour briguer un second mandat, lui qui a hérité depuis la mort du président Hugo Chavez en 2013 des résidus de l’ère du “Comandante Chavez” tant au niveau de l’extérieur que de l’intérieur, avec tous ses aspects négatifs, les effets de ses alliances et de ses politiques économiques et sociales, comme il a hérité de ses slogans contre l’hégémonie américaine, l’anti-impérialisme et la mondialisation …

La crise politique, qu’a connue le Venezuela sous Chavez et encore plus à l’ère de Maduro, a influé sur les relations du pays avec ses voisins en Amérique latine, en particulier avec les Etats-Unis d’Amérique, dont la politique étrangère a changé avec George W. Bush Jr., Barack Obama et enfin Donald Trump, qui a reconnu Juan Guaido comme président par intérim du Venezuela, en attendant l’organisation de nouvelles élections présidentielles saines et transparentes, avant que cette reconnaissance ne s’étende à la plupart des pays d’Amérique latine et au Canada, alors que d’autres pays, comme l’Allemagne, la France, les pays-Bas et la Grande-Bretagne ont fixé à Carlos Maduro un ultimatum de quelques jours pour déterminer la date d’un nouveau scrutin présidentiel.

+ Une situation au bord de l’explosion +

Aux yeux des analystes les plus optimistes, le Venezuela est un baril de pétrole qui pourrait exploser à tout moment, en ce sens qu’il vit depuis deux décennies aux rythmes de la violence, de la recrudescence de la criminalité, de la stagnation économique, de l’inflation, de l’effondrement de la monnaie nationale par rapport au dollar et des protestations. En chiffres, le nombre de personnes ayant fui la crise économique/politique a considérablement augmenté, le nombre de permis de séjour temporaires accordés aux vénézuéliens a atteint 800 000 en Colombie où il est près de franchir un million, 20 000 au Pérou, 85 000 au Brésil, 130 000 en Argentine, 100 000 au Chili, 220 000 en Equateur et environ 37 000 en Bolivie, en plus de la demande croissante d’asile en Espagne, en France et en Italie …
Par ailleurs, le taux de pauvreté a atteint des niveaux effrayants. Il était de 23,6% en 2014, avant de passer à 61,3% en 2017 et à 87% en 2018, selon une étude de l’Université centrale du Venezuela et de l’Université Simon Bolivar.

Cette situation a poussé de nombreux Vénézuéliens à se retrouver dans de longues files d’attente pour du pain, des médicaments, du lait et des œufs, en raison de l’effondrement du pouvoir d’achat des classes moyennes et modestes, ce qui a placé le pays au bord de l’effondrement social et de connaître des marches de protestation lesquelles ont fait plus de 130 morts et des milliers de blessés et abouti à l’arrestation d’environ 500 opposants politiques en plus des militants des droits de l’homme et des journalistes.

Fait marquant, ces données ne concernent pas un pays pauvre ou sans ressources naturelles. Le Venezuela est connu pour abriter les plus grandes réserves de pétrole du monde et est membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Et pourtant, le Venezuela se trouve classé parmi les pires économies du monde.

En recourant encore à la langue des chiffres, la production de pétrole du Venezuela a dépassé les 3 millions de barils par jour en 1998, mais elle n’est plus que 1,3 million de barils par jour, à cause de la gestion politisée de la société nationale de pétrole. Cette dernière est passée d’une position de leader mondial de la production de pétrole à une entreprise menacée de faillite, avec une dette atteignant les 34 milliards de dollars, après que plusieurs ingénieurs vénézuéliens qualifiés furent remplacés par un groupe de militants et de partisans du parti au pouvoir, ce qui a gonflé les effectifs des employés qui est passé de 25 000 en 1998 à 140 000 en 2017.

De même la politique du gouvernement de nationalisation des secteurs importants a accéléré le départ de nombreuses sociétés étrangères, affectant la fluidité et le volume des investissements étrangers, et a poussé le gouvernement à recourir aux emprunts, et à consacrer la réserve nationale d’or à l’achat des biens de base, des médicaments et des biens d’équipement. Ce qui signifie que le gouvernement de Maduro a affecté les revenus pétroliers en devises fortes à l’achat de tous ses besoins à l’étranger et a exposé l’économie vénézuélienne aux fluctuations du marché du pétrole et aux diverses crises que connaît le secteur à cause de la crise économique mondiale depuis 2008.

+ Le Venezuela comme arène de lutte entre les forces des pôles +

D’autre part, le Venezuela est une vieille-nouvelle arène des conflits idéologique et politique, ce qui a contribué à l’internationalisation de sa crise et l’a exportée hors de ses frontières, aussi bien en direction de Washington, du Parlement européen ou du Conseil de sécurité, voire au niveau de centres de médiation tels que le Mexique et l’Uruguay.

La reconnaissance par Trump, l’Union européenne et d’autres de Juan Guaido en tant que président par intérim du Venezuela, fait planer, en plus du soutien politique, l’éventualité d’une intervention militaire et, plus important encore, la tutelle économique qui en découle, notamment en ce qui concerne le droit de disposer des fonds publics vénézuéliens et des dépôts auprès de banques centrales à l’étranger. C’est ce qui a justifié la réponse positive de la banque centrale anglaise à la demande de Guaido de rejeter la demande de Maduro relative à une grande partie des réserves d’or du Venezuela, déposée dans la banque anglaise et qui atteint environ 31 tonnes de lingots d’or, privant ainsi Maduro de liquidité et aggravant encore la pression sur lui.
A l’instar d’autres pays, dans le cadre du « jeu des nations » et de la préservation de ses intérêts stratégiques, les autorités marocaines ont annoncé le 29 janvier leur reconnaissance et leur soutien à Juan Guaido en tant que Président par intérim pour une nouveau Venezuela doté d’institutions qui contribuent au développement et à la prospérité du peuple vénézuélien et à la paix sociale et mondiale.

Cependant, la dynamique des Etats Unis, et de l’Europe dans le dossier vénézuélien ne passera pas inaperçue pour les autres puissances mondiales, en particulier la Russie et la Chine, qui ne permettront certainement pas une intervention militaire américaine sous couvert de l’ONU afin de préserver leurs intérêts économiques et commerciaux dans la région, et pas seulement au Venezuela.

Pour sortir du goulot d’étranglement, Maduro a exprimé sa disposition à dialoguer avec Guaido et a indiqué qu’il continue de vendre le pétrole aux Etats-Unis, en distinguant entre le peuple américain qu’il aime et le président américain Trump qu’il qualifie d’impérialiste. Pour sa part, Guaido a exclu l’éventualité d’une guerre civile imminente, affirmant que 90% de la population le soutient et que Nicolas Maduro n’était pas dans les arrangements du futur Etat vénézuélien.

**** M. Boussouf est un historien et universitaire marocain. Depuis 2007, il occupe le poste de Secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) dont le siège est à Rabat.

N/B : cette chronique a été traduite de l’arabe par la rédaction d’Article19.ma

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