Polémique autour de l’élection du CNP – Les secrets du conflit au sein du SNPM et la manipulation de la volonté des journalistes

Par Nadia Lamrini

J’ai suivi, depuis juin dernier, la dynamique enclenchée par l’élection des membres du Conseil national de la presse (CNP), notamment celle des journalistes en raison des débats, des contestations et des réactions qui s’en sont suivis lesquelles témoignent de la vitalité et du dynamisme de ce corps malgré son émiettement, son indiscipline et l’accaparement du cadre syndical par des courants politiques.

Le processus électoral a commencé avec la participation de trois listes, dont la première était soutenue par le Syndicat national de la presse marocaines (SNPM) et conduite par Hamid Saadni, et les deuxième et troisième listes qui étaient respectivement menées par Ali Bouzerda, ancien directeur de l’Agence Maghreb arabe presse, et Abdessamad Benchrif, actuel directeur de la chaîne d’information Almaghribia de la Société nationale de radio et de télévision (SNRT).

Les listes indépendantes n’ont posé aucun problème quant à la désignation des 7 candidats contrairement à celle soutenue par le syndicat en ce sens que le président du SNPM, Abdellah Bekkali, et son secrétaire général, Younes Moujahid, ont eu recours à des subterfuges bien étudiées pour la faire adopter par le bureau et le Conseil fédéraux du syndicat. Ils ont annoncé l’ouverture des dépôts de candidatures des membres et des journalistes qui le désirent sans pour autant divulguer les détails de leur plan qu’ils ont partagé seulement avec quelques uns de leurs proches au sein du bureau fédéral.

L’administration du syndicat a reçu 34 dossiers de candidatures, dont la majorité sont issus du syndicat, y compris ceux de Younes Moujahid et d’Abdellah Bekkali, contrairement à ce qu’ils avaient déclaré auparavant. Ils avaient ainsi annoncé la mise en place d’une commission de candidatures qu’ils ont baptisée « Comité des sages », composée de l’ancien ministre de la justice Mohammed Machichi Alami, de l’ancien directeur de Sapress, Mohamed Berrada, de Jamal Eddine Naji, directeur général de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, de Mohamed Brini, ancien directeur du journal Alahdat Almaghribiyya, et de l’avocat du barreau de Rabat Taib Lazrek.

Après les excuses présentées par Berrada, le voyage de Naji hors du Maroc, et l’absence de Machichi Alami de Rabat, Moujahid et Bekkali ont fait appel à Abdelmjid Fadel, directeur de l’Institut Supérieur d’Information et de Communication qui s’est, à son tour, excusé. Afin de sauver la situation, ils ont contacté Abdelouahab Rami, professeur au même institut, et Mohamed Nachnach, ancien président de l’Organisation marocaine des droits de l’homme. Comme vous le constatez, vues leurs compétences, ces personnes n’ont rien à voir avec la mission dont ils ont été chargée par le syndicat. La commission s’est réuni à l’Hôtel Rabat et a commencé son travail avec la participation d’autres personnes que celles annoncées devant le Conseil National Fédéral. Les travaux de la commission ont été orientés par Younes Moujahid et Abdellah Bekkali, qui se sont portés candidats à l’élection du CNP. Ils ont déterminé les candidats qui ont le profil et Taib Lazrek et Abdelouahab Rami, en sont témoins, et ce en parfaite contradiction avec les lois sur les élections et les valeurs éthiques professionnelles. Ils ont également, en tant que dirigeants du syndicat, refusé de révéler, comme le stipule la loi, la liste des 34 candidats du syndicat sans raison aucune. Tout comme ils n’ont pas publié les PV des réunions du comité des « sages » et ont gardé secret, pendant plus de dix jours, les noms qu’ils ont choisis et n’ont annoncé la liste, qui a été concoctée au nom de la sagesse et des sages, que le 27 mai 2018, date de la présentation de la liste « Liberté, professionnalisme, intégrité » à la Commission de supervision des élections au siège du ministère de la communication.

Au cours de la réunion du Conseil national fédéral du SNPM à Casablanca a été annoncé un accord avec la Fédération nationale de la presse relevant de la centrale ouvrière l’Union marocaine du travail (UMT), accord dont les détails sont connus seulement d’Abdellah Bekkali, Younes Moujahid et de trois ou quatre membres du bureau exécutif du syndicat. La dissimulation des détails de l’accord et les manipulations de la volonté des membres du syndicat est à l’origine du conflit actuel au sein du SNPM, car ils n’ont annoncé les détails secrets ni lors de la réunion du conseil national fédéral à Casablanca ni lors de celle tenue à Bouznika. Pire encore, les trois quarts du Bureau exécutif et du Secrétariat ont été délibérément exclus afin qu’ils ne connaissent pas les détails de l’accord, qui ont commencé à émerger au fur et à mesure du processus électoral du CNP avec l’annonce dans le cadre de l’accord avec le syndicat de l’UMT de la présidence de la liste « liberté, intégrité, professionnalisme » par le journaliste de 2M Hamid Saadni. A cette liste a été ajouté Mokhtar Aomari du site TelQuel sous la pression du président de l’association « Forum marocain des jeunes journalistes » contre le vote en leur faveur des membres dudit forum dont le candidat n’a aucun lien avec le SNPM. Mariem Oudghiri, du groupe « Eco Media », qui publie les journaux « Assabah » et « L’Economiste », et possède « Radio Atlantic », a également été ajoutée à la liste. Mme Oudghiri, cadre à « L’Economiste », ne parle pas la langue arabe et n’a aucun rapport avec l’action syndicale. Elle a été ajoutée à la liste du syndicat en accord avec Abdelmounaim Dilami patron d’Eco Media, et élu membre du Conseil national de la presse par le collège des éditeurs. Comment Madame Oudghiri pourrait-elle concilier entre les choix du syndicat qu’elle représente au Conseil avec les directions de son patron qui est membre du même conseil ? Elle est également et depuis les années une amie de Hanane Rehab, une parlementaire du parti de Driss Lachguer, qui est influente au sein du syndicat de Moujahid et de son association des œuvres sociales en tant que responsable des fonds de cette dernière.

Les journalistes membres du syndicat ont accepté cette combinaison étrange, parce qu’ils se sont retrouvés devant le fait accompli et par manque de temps en plein Ramadan puis l’Aïd et les jours comptés pour la campagne. Tout les membres du syndicat se sont ainsi mobilisés en attendant que les choses soient plus claires. En conséquence de leurs efforts et de leur mobilisation la liste de « liberté, intégrité, professionnalisme » a remporté une grande victoire grâce aux voix surtout des journalistes des médias publics, notamment de la SNRT et de 2M et d’une partie des grands journaux et de la presse électronique à Rabat et à Casablanca, à l’exception de l’agence MAP, dont les journalistes ont presque collectivement boycotté les élections. Bien que le syndicat ait présenté un journaliste de l’agence sur sa liste, il n’a pu rallier à sa liste que quelques voix à Rabat. Younes Moujahid avait contacté le journaliste Omar Lachheb pour présenter sa candidature au nom de la MAP. Ce dernier, qui est un ancien membre du bureau national du SNPM, a effectivement présenté sa candidature aux membres du Comité des « sages » lequel l’a acceptée, mais le duo Abdellah Bekkali et Younes Moujahid sont intervenus pour annuler sa désignation en présentant à sa place Abdelkader Hajaji à cause de la position de boycott des journalistes de la MAP.

Le coup de semence est venu après l’annonce de la réservation du 8ème siège à la fédération syndicale de l’UMT, réservation qui a fait éclater au sein du SNPM la question des élections lorsque les membres du syndicat ont été surpris par le nom de Tourya Souaf laquelle a été secrètement désignée par le SNPM dont elle n’a jamais été membre. Le renoncement du SNPM à ce siège a été décidé discrètement depuis environ 4 mois comme l’a déclaré samedi dernier Abdellah Bekkali au site « Daba presse ».

Le nom de Tourya Souaf a été proposé par l’UMT à Bekkali et à Moujahid et a été approuvé secrètement par le Syndicat de la Presse dans une lettre adressée au Ministre de la Communication le lundi 9 juillet.

De nombreux journalistes ont découvert la déclaration historique que des journalistes ont rendu public au nom du syndicat condamnant ces violations, estimant que le renoncement à ce siège porte atteinte à l’indépendance de la prise de décision au sein du syndicat, parce qu’il est le syndicat le plus représentatif, tel que stipulé par le texte sur le Conseil national de la presse. Ils ont considéré ce renoncement comme un précédent dans l’histoire du SNPM. La renonciation au siège et l’approbation de Tourya Souaf n’ayant pas été discutée au sein des structures syndicales dont les membres n’en ont pas été mis au courant, comme l’a prétendu Abdellah Bekkali, à la fois dans son communiqué de samedi dernier, ou dans sa déclaration au site susmentionné sans fournir aucune preuve comme des copies des PV des réunions du Bureau exécutif ou du Conseil national fédéral.

En réalité, l’Etat n’est pas intervenu dans le processus de la mise en place de ce Conseil, et malgré son importance dans l’organisation de la scène médiatique nationale, les journalistes et les organes qui les représentent restent les maillons les plus faibles.

Le SNPM, le cadre de premier plan dans le paysage syndical, n’a pas pu se débarrasser de la mentalité obsolète de commission de candidatures dans la gestion de ses affaires en plus de l’absence de démocratie et de transparence dans la gestion quotidienne de ses dossiers et de ses relations internes. La rotation entre deux partis et deux personnes depuis des décennies à la tête du syndicat est toujours en cours en ce sens que les élections et les congrès du syndicat sont toujours gérés de la même manière et avec une mentalité visant à maitriser les élections de peur de toute surprise qui pourrait remettre en cause les intérêts de la direction qui a vieilli dans les postes syndicaux et cherchent, aujourd’hui, une retraite confortable au sein du Conseil national de la presse. Et ils œuvrent encore à continuer de contrôler les rouages du syndicat, bien que la loi interdit les cumuls dans ce domaine. C’est ce que prouve actuellement leur opposition ferme à toute réforme en allant jusqu’à la menace d’exclure certains dirigeants du syndicat. (Journal Akher Saa)

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