El Othmani a du pain sur la planche…

Par Ali Bouzerda

Dans la presse on peut lire : « Les islamistes du PJD ont été dissous comme du sucre dans l’eau »… « Ils ont bu le calice jusqu’à la lie »… « Le gouvernement El Othmani ressemble à des contes de Djeha, » etc…

Ce gouvernement tant attendu avait suscité des attentes, des rêves et même des fantasmes chez certains. Alors que dans la realpolitik « la plus belle des mariées ne peut offrir que ce qu’elle a », dit-on.

Et pour simplifier, c’est comme l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. Cela dépend comment on veut voir les choses et les hommes qui constituent ce gouvernement.

Mais l’essentiel est ailleurs, car le PJD et ses hommes sont dans le jeu, en d’autres termes toujours dans les rouages de l’État et ne pouvaient faire autrement, comme dans le film Scorpio.***

La photo « familiale » dans le salon marocain de Benkirane se passe de tout commentaire. Les dix ministres, y compris El Othmani et les trois voilées du groupe, sont tous heureux, sauf le grand manitou du PJD qui essaie de faire semblant. Une semaine après, il est revenu à la charge pour calmer les jeunes islamistes en colère : « on a perdu la bataille mais pas le combat… » Mais dans les faits, Benkirane connait bien les règles du jeu, même si la décision du roi a bousculé ses rêves et ses ambitions dus à « la folie des grandeurs ».

Bref, on peut continuer à élaborer des « conspiracy théories » et autres sur nos islamistes et le pouvoir jusqu’à fin 2020, mais la seule chose qui compte : est-ce qu’El Othmani en tant qu’homme politique digne de ce nom, saura-t-il relever les défis ?  Quel chemin va-t-il emprunter, celui de la rigueur et du sérieux pour s’atteler à trouver des solutions aux problèmes et répondre aux attentes des marocains ou plutôt verser dans la rhétorique comme son prédécesseur ? Sachant bien évidemment qu’il n’y a aucune ressemblance entre les deux bonhommes sauf qu’ils appartiennent à la même Zaouïa politique, le PJD.

Les premiers signes avant-coureurs indiquent une certaine rupture avec les pratiques de Benkirane, même si El Othmani reste entouré de deux faucons du PJD à savoir Mustapha Ramid et Lahcen Daoudi.

+ Du pain sur la planche…+

Par ailleurs, le nouveau chef de l’exécutif qui dispose de prérogatives bien définies dans la Constitution devra s’attaquer aux épineuses questions de l’éducation dans le secteur public, du chômage des milliers de jeunes, y compris les diplômés parmi eux, et enfin la situation lamentable du secteur de la santé.

Un rappel pour toute fin utile, le gouvernement précèdent n’a eu d’imagination que d’ouvrir les portes de la privatisation du secteur de la santé pour enrichir encore plus ceux qui le sont déjà, et ce au détriment de la masse qui va se tourner vers les charlatans et guérisseurs traditionnels pour se soigner.

Pour vous donner juste une image : avez-vous jamais entendu parler en Angleterre, en France ou en Espagne de médecins et de professeurs qui passent leur temps à cultiver la banane, le kiwi, la mangue, les cacahuètes, etc? Au Maroc, c’est une source d’enrichissement extraordinaire et même de  » fierté  » et de savoir faire de l’ère post-capitaliste. Curieux !

Et pour ne pas aller vite en besogne, soyons plutôt optimiste, El Othmani n’a pas encore dévoilé sa feuille de route, quoique que ses « frères » viennent d’annoncer qu’il aurait donné son feu vert pour l’abandon de l’aide aux familles nécessiteuses que Benkirane avait établi et de mettre un terme à la réforme de la Caisse de compensation.

Qui dit Caisse de compensation, dit subvention du sucre et du gaz butane. Deux produits sensibles et de première nécessité mais qui font surtout le bonheur des « gros poissons » au Maroc. Le pays « le plus beau du monde », selon l’Office du Tourisme, mais qui compte encore plus de 1,6 millions de pauvres qui vivent avec 3000 dirhams/an en moyenne, doit encore patienter. Une somme qui ne représente même pas le prix d’un paquet de Cohiba pour le plaisir d’un ministre progressiste de chez, à titre d’exemple.

El Othmani et ses 39 ministres forment une forte équipe, étoffée avec des technocrates bien rodés abstraction faite de leur couleur politique. Ils doivent avoir de l’imagination et du courage car cette équipe qui a été la cible de caricatures et de critiques sévères a du pain sur la planche. Les défis à relever sont nombreux et pas les moindres en ces temps de crise économique globalisée.

Au Maroc, les jeunes sans emplois et y compris ceux sans diplômes sont estimés à 2,7 millions. Ils sont de plus en plus impatients et n’ont pas peur du bâton ni des hommes du Makhzen.  Ils veulent une justice sociale, des choses concrètes et non des promesses, toujours des promesses… Les incidents du Rif sont là pour le rappeler à ceux qui ont la mémoire courte. En cinq mois, il a fallu la visite de deux puissants ministres de l’Intérieur pour calmer les esprits, et encore…

À bon entendeur, salut !

*** Scorpio: « Il y a un jeu à côté … où le plus important n’est pas de gagner ou de perdre, mais de rester dans le jeu« , disait un Burt Lancaster mourant au novice, Alain Delon, à propos d’un jeu installé dans un bâtiment d’une puissante administration américaine. 

Article19.ma