Cessons de crier à l’islamophobie

Par : Tim Black

On comptait encore les morts, on trans­portait les blessés à l’hôpital. Mais, alors que le reste du monde était en train de découvrir les attentats perpétrés à Paris, les gens enclins à voir de l’islamophobie partout n’ont pas pu s’empêcher de nous ressortir les habituelles petites phrases: « Des démagogues vont aussitôt les mettre sur le dos des musulmans »; « les attaques parisiennes vont susciter davantage de sentiments antimusulmans en Europe » ou encore « les islamophobes vont s’en donner à cœur joie ».

Après chaque atrocité commise par des islamistes sur le sol occidental, on entend le même refrain: les musulmans vont le payer. New York en 2001, Madrid en 2004, Londres en 2005, Toulouse en 2012, Paris en janvier dernier. Quel que soit l’attentat, le discours est le même: la réaction contre les musulmans ne va pas se faire attendre.

Pourtant, cette réaction – le « jour de cristal » de l’islam – ne vient jamais. Il n’y a jamais de pogroms contre les musulmans, jamais de manifestations massives de mépris ni de haine envers le niqab. Des graffitis odieux et des tweets désagréables, oui. Peut-être, et c’est regrettable, un incendie dans une mosquée. Voire, occasionnel­lement, une agression physique isolée contre un musulman pour la simple raison qu’il est musul­man. Mais une réaction vraiment violente, les scénarios cauchemardesques évoqués par ceux qui crient à l’islamophobie, les attaques massives contre tous les musulmans, tout cela continue à manquer de réalité.

Ce dont l’islamophobie ne manque pas, en revanche, c’est d’une audience qui veut croire à sa réalité, à la montée d’un sentiment antimu­sulman. Cette conviction que l’islamophobie est toujours dans l’air, surtout après une attaque ter­roriste, ne vient pas d’un contexte social. Non, elle vient d’une peur, une peur des masses, une peur des autochtones. Une peur, en d’autres termes, de la pensée (forcément irrationnelle) des gens, de la manière (forcément instinctive et destructrice) dont ils pourraient répondre à une provocation terroriste. Paradoxalement, l’islamophobie est donc une peur de la part de l’élite: une phobie des masses, née d’une cou­pure de la classe politique et des médias avec de vastes pans de la société civile. Elle témoigne d’une profonde déconnexion, d’un gouffre entre, d’une part, l’élite au pouvoir et ceux qui partagent sa vision du monde et, de l’autre, le reste de la société. On peut sentir cette phobie des masses dans les nombreux commentaires sur le risque que les attaques parisiennes bénéficient au Front national. « Le parti d’extrême droite de [Marine] Le Pen était le deuxième de France; à présent, il peut devenir le premier », note un chroniqueur. « Les évé­nements de vendredi soir vont probablement jouer en faveur de l’extrême droite », écrit un autre. On pourrait voir là une simple analyse politique, mais, lorsqu’on y regarde d’un peu plus près, on décèle dans ces phrases une peur du peuple chez les élites établies; celui-ci leur apparaît comme une masse effrayante qui, le jour venu, n’hésitera pas à faire bloc derrière le parti de Marine Le Pen et d’autres groupes d’extrême droite.

Les mises en garde contre l’islamophobie, ce diagnostic préventif d’une pathologie antimu­sulmane qui afflige les masses, ne témoignent pas seulement de la peur que le peuple inspire aux autorités; elles le censurent également. C’est l’interdiction d’un certain mode de pensée: il ne faut pas juger la vision du monde musulmane, il ne faut pas critiquer une autre confession. Cette interdiction empêche les gens, à moins qu’ils ne veuillent être accusés d’islamophobie, crime ins­piré par la haine, de remettre en question et de juger les croyances et les valeurs de ceux qui tuent, oui, au nom de l’islam. Les gens qui invoquent l’islamophobie craignent la réaction de ceux qui sont jugés. Ils craignent un nouvel assaut isla­miste. Ils craignent le retour de flamme.

Pourtant, critiquer l’islamisme, critiquer les croyances et les principes de ces individus déter­minés à détruire le « camp des kafir[mécréants] », revendiquer et défendre des valeurs qui ont encore toute leur place dans la société occidentale, tout cela n’a rien à voir avec le fait de persécuter des musulmans ou d’interdire l’islam. Le nombre excessif de ceux qui pensent le contraire, qui confond jugement et intolérance, montre à quel point l’Occident est déjà en train de courir à sa perte.

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