Lettre ouverte à Erik Van Den Berghe Collègue académique belge :Pour un dialogue islamo-chrétien réaliste et durable

Erik Van Den Berghe

Dr Mohamed Chtatou

Cher ami chrétien,

Que le salut de la paix soit sur vous.

 Assalamou alaikoum.

Réinventer le dialogue islamo-chrétien

Je vous envoie cette lettre ouverte avec l’espoir ferme de pouvoir réinventer avec vous, et toute autre personne intéressée, le dialogue islamo-chrétien pour une compréhension culturelle plus conséquente et un échange interreligieux plus responsable et plus durable pour l’islam et le christianisme, ces deux grandes religions du monothéisme. Notre atout principal c’est que nous sommes tous les deux des académiques qui ont travaillé et écrit sur ce sujet pendant des décennies, non pour la gloire ou la richesse mais plutôt pour instaurer la paix et la compréhension entre les fidèles de ces deux confessions. Notre autre atout est que nous ne représentons ni un gouvernement particulier ni une institution ecclésiastique donné, une société mercantile ou une ONG quelconque. Nous sommes libres dans nos paroles et nos actes et notre but final est de réinventer le dialogue pour le faire sortir de l’ornière de l’immobilisme, du répétitif et du marasme de la politesse, pour en faire, si Dieu le veut, un outil pratique de l’échange constructif pour une coexistence vraiment pacifique, une compréhension sans ambages et circonlocutions et un développement bénéfique pour tout le monde.

A cause du coronavirus, nous vivons aujourd’hui des temps incertains, des moments de douleur et de peur, ou fidèles que nous sommes de croyances monothéistes nous avons besoin de beaucoup de foi mais aussi beaucoup de concertation pour affronter ensemble le mal, en tendant la main à l’autre et en cherchant activement un remède à cette pandémie et du coup un remède à l’incompréhension, au mépris, au déni et à l’insouciance, pour construire ensembles un avenir meilleur pour nous tous.

Pour notre dialogue futur, nous voulons des rencontres moins protocolaires et plus pratiques, des programmes de terrain réalisables entres différentes couches de la société et moins couteuses et onéreuses, des organisations de suivi à géométrie variable et moins bureaucratiques et des outils d’évaluation constante, valide et pratique.

Trouver un terrain d’entente entre musulmans et chrétiens n’est pas simplement une question de dialogue œcuménique poli entre d’honorables chefs religieux sélectionnés. Tous les adeptes de l’islam et du christianisme dans le monde entier devraient lire et étudier attentivement et sérieusement les documents de base, en particulier ceux qui sont des leaders communautaires et religieux, les hommes politiques, les élus, les acteurs économiques, les enseignants et les conférenciers de l’université, les activistes des associations et ONGs, etc. pour en dégager les dénominateurs communs, point de départ pour un dialogue quantifiable, fructueux et serein.

Le christianisme (2,28 milliard, soit 30,11% de la population mondiale) et l’islam (1,8 milliard, soit 23,77% de la population mondiale) sont les deux plus grandes religions au monde et dans l’histoire. Ensemble, ils représentent plus de 53,88 % de la population mondiale, ce qui fait de la relation entre ces deux communautés religieuses le facteur le plus important pour contribuer à une paix significative dans le monde. Si les musulmans et les chrétiens ne sont pas en paix, le monde ne peut pas être en paix, non plus.

Le défi de l’humanité aujourd’hui ne vient pas seulement du surarmement effrayant du monde moderne, de la pauvreté endémique, de la famine horrible, des maladies terrifiantes, et de la crise environnementale, mais aussi de l’impact voulu ou non de la promotion de l’idée du Choc des Civilisations par la thèse de Huntington en l990, qui est en substance le choc des civilisations chrétienne et musulmane et de ceux qui adoptent cette idée fausse et dangereuse. Aujourd’hui, avec des musulmans et des chrétiens entremêlés partout, comme jamais auparavant, aucune partie ne peut gagner unilatéralement un conflit entre plus de la moitié des habitants du monde. C’est donc notre avenir commun qui est en jeu, c’est peut-être la survie même du monde qui est en jeu. Dialoguons sur des bases saines…

D’un point de vue pragmatique, les questions urgentes auxquelles est confronté notre monde de plus en plus interdépendant devraient inciter tous les chrétiens à revoir et à reconsidérer leur compréhension de l’Islam et leurs relations avec les musulmans et vice-versa.

Il s’agit d’une tentative de réflexion sur les obstacles et les opportunités auxquels sont confrontées les relations chrétiennes-musulmanes contemporaines. L’histoire des relations passées entre musulmans et chrétiens n’est pas heureuse pour des raisons culturelles, politiques et économiques, mais aussi religieuses. Ces obstacles sont toujours présents et nos réflexions tenteront de mettre en lumière certains d’entre eux.

Défis

Les horribles attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington ont marqué un tournant majeur dans les relations entre musulmans et chrétiens. Ces événements et les nombreux autres qui ont suivi aux États-Unis, en Afghanistan, en Irak, en Iran, au Liban et en Israël/Palestine ont créé à la fois des obstacles et des opportunités pour le dialogue entre musulmans et chrétiens. Aux États-Unis, des milliers d’églises ont mis en place des programmes d’études sur l’Islam ; beaucoup ont lancé des programmes de dialogue et des projets constructifs (par exemple, des églises, des mosquées et des synagogues construisant ensemble des maisons pour des voisins à faibles revenus). Les cours sur l’islam et les relations interconfessionnelles ont augmenté de façon spectaculaire dans les collèges et les universités de toute l’Amérique du Nord. Les efforts concertés pour faciliter un dialogue constructif au cours du demi-siècle précédent ont fourni une base inestimable pour beaucoup.

Dans le même temps, les voix de certains dirigeants chrétiens et musulmans très audibles sont devenues plus polémiques. Ceux qui rejetaient ouvertement l’autre religion comme étant « fausse », « démoniaque » ou « mauvaise » ont trouvé des adeptes dans leurs communautés respectives. La longue histoire d’incompréhension, de méfiance et d’animosité continue à influencer l’attitude de nombreuses personnes dans les deux communautés de foi.

De nombreux musulmans se méfient de l’ensemble de l’entreprise en raison de la longue histoire d’inimitié et des expériences plus récentes du colonialisme. Les machinations politiques contemporaines impliquant les États-Unis ou d’autres grandes puissances occidentales créent également des problèmes pour de nombreux participants musulmans potentiels. D’autres musulmans encore soupçonnent que le dialogue est une nouvelle forme d’activité missionnaire chrétienne.

Le mouvement du dialogue organisé représente un nouveau chapitre dans la longue histoire entre musulmans et chrétiens. Les efforts intentionnels de compréhension et de coopération sont des signes d’espoir, en particulier pour les communautés religieuses ayant une histoire d’antipathie mutuelle. Les musulmans et les chrétiens qui prônent le dialogue et s’y engagent se heurtent encore, malheureusement, à de nombreux obstacles.

Finalité

Toutefois, la question qui s’impose et se pose d’emblée est : Comment s’engager sur ce chemin difficile certes mais qui, dans notre société multiculturelle, est une condition du vivre ensemble ? Tout dialogue demande, avec grande insistance, la connaissance de l’autre et l’acceptation de son altérité !

Plusieurs motifs doivent propulser le mouvement de dialogue contemporain. Il s’agit notamment du désir de favoriser la compréhension, de stimuler la communication, de corriger les stéréotypes, de travailler sur des problèmes spécifiques d’intérêt mutuel, d’explorer les similitudes et les différences, et de faciliter les moyens de témoignage et de coopération.

Le besoin pragmatique d’une meilleure compréhension et d’une meilleure coopération entre les adhérents des deux plus grandes communautés de foi du monde – le christianisme et l’islam – est particulièrement aigu. Ensemble, les chrétiens et les musulmans représentent près de la moitié de la population mondiale, de sorte que la manière dont ils entretiennent des relations ne peut qu’avoir de profondes conséquences pour les deux communautés et pour le monde.

Le dialogue islamo-chrétien représente un nouvel effort majeur pour comprendre et coopérer avec les autres dans des pays de plus en plus interdépendants et diversifiés sur le plan religieux. La nouveauté du dialogue et l’absence de clarté conceptuelle ont nécessité une expérimentation. Les questions relatives à la planification, à l’organisation, à la représentation et aux sujets doivent faire l’objet d’un examen approfondi et d’une collaboration attentive.

Par tâtonnements, les partisans du dialogue interconfessionnel en Asie, en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord continuent d’affiner le processus. De nombreux groupes de dialogue locaux, régionaux et internationaux ont élaboré des lignes directrices pour répondre à des préoccupations communes et éviter les pièges. Nombre de ces ressources sont facilement accessibles sur Internet.

Objectifs

Le dialogue islamo-chrétien devrait s’articuler autour de 3 objectifs principaux :

A. Offrir un forum académique objectif aux intellectuels musulmans et chrétiens pour discuter des questions et des problèmes contemporains, dans une atmosphère libre et sans entraves, ce qui permet d’identifier les valeurs mutuelles et de les mettre en valeur.

B. Offrir aux jeunes musulmans et chrétiens l’occasion de se rencontrer et d’analyser ce qu’ils pensent être les principaux problèmes auxquels la jeunesse est confrontée au cours de la dernière décennie du XXe siècle, afin de réfléchir à des solutions compatibles avec l’avènement du XXIe siècle.

C. Contribuer à cimenter les bases solides de la coexistence entre musulmans et chrétiens, en particulier dans les situations où les adeptes de l’une ou l’autre religion sont minoritaires.

Dans les réalités géopolitiques actuelles, le dialogue entre musulmans et chrétiens se déroule dans une période très difficile, mais guère désespérée. Ce que l’on oublie souvent, c’est que les religions ne peuvent pas dialoguer ; seuls les croyants le peuvent. De plus, si, par exemple, quelqu’un s’oppose à un tel dialogue en prétendant qu’aucun musulman ne peut parler au nom de l’Islam, on peut répondre en demandant si un seul chrétien peut parler au nom de toute la chrétienté.

La Bible et le Coran mettent en évidence aimer Dieu et aimer son prochain

Une étude attentive de la Bible et du Coran, montre que ces deux religions mettent en évidence de façon similaire la primauté d’aimer Dieu et d’aimer son prochain. Ces principes se retrouvent à maintes reprises dans les textes sacrés de l’Islam et du Christianisme. L’unicité de Dieu, la nécessité de l’amour à son encontre et la nécessité de l’amour du prochain est donc le point commun entre l’Islam et le Christianisme. En voilà quelques exemples :

De l’Unicité de Dieu, Allah dit dans le Saint Coran :

  » 1. Dis : “Il est Allah, Unique. 2. Allah, Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons », (al-Ikhlas, 112 : 1-2).

De la nécessité de l’amour du prochain, le prophète Mohammad a dit dans un Hadith :

 « Aucun de vous n’a la foi tant que vous n’aimez pas pour votre prochain ce que vous aimez pour vous-même ».

Dans le Nouveau Testament, Jésus-Christ a dit :

“29 Jésus répondit : Voici le premier : Écoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur ;

30 et : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force.

31 Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là“.

Il est du devoir de chaque musulman et de chaque chrétien d’aller consulter les versets de leur livre saint et les paroles des Prophètes : Moïse, Jésus, et Mohammed et de mettre en évidence leur engagement commun en faveur du monothéisme et de modes de vie responsables reliant les humains à leur Créateur et les uns aux autres.

Invitation à l’entraide

Le Coran ordonne aux musulmans d’inviter les disciples de Moïse et de Jésus pour les aider à trouver des points communs et à promouvoir la coopération, pour faire le bien et prévenir le mal. Le Saint Coran ordonne :

“-Dis : « Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n’adorions qu’Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d’Allah. » Puis, s’ils tournent le dos, dites : « Soyez témoins que nous, nous sommes soumis » “, (al-‘Imran, 3 : 64).

La « ressemblance familiale“, pour reprendre la terminologie du philosophe Ludwig Wittgenstein (1889-1951), du christianisme et de l’islam ne se limite pas à ces deux questions. Elle est plus large et plus profonde que l’on peut le supposer.

L’ouvrage collectif : “Jesus and Muhammad : The Parallel Sayings“ présente pour la première fois les paroles de Jésus du Nouveau Testament et les enseignements parallèles de Mohammad trouvés dans le Coran et le Hadith. Ces citations montrent clairement que les valeurs fondamentales du christianisme – amour, paix, compassion, pardon et repentir – correspondent aux principes centraux de l’islam et démontrent que malgré des siècles de conflit, ces deux religions possèdent un fondement moral et spirituel commun.

Kenneth Atkinson (1960-) nous informe dans son introduction de cet ouvrage qu’il existe au moins huit domaines de « ressemblance familiale » entre le christianisme et l’islam :

  • Premièrement, les deux religions revendiquent Abraham comme leur ancêtre spirituel. Les traditions culturelles, historiques et religieuses du christianisme et de l’islam émanent toutes de la même source géographique et historique ;
  • Deuxièmement, le christianisme et l’islam sont des religions de monothéisme éthique. Les deux religions affirment qu’il n’y a qu’un seul Dieu aimant et juste qui est la source et le soutien de la création et qui attend des humains qu’ils s’aiment les uns les autres ;
  • Troisièmement, le christianisme et l’islam sont des religions historiques. Toutes les deux croient que Dieu agit à travers l’histoire ;
  • Quatrièmement, le christianisme et l’islam sont des religions de révélation. Le christianisme et l’islam enseignent que Dieu a communiqué ou révélé quelque chose de son propre moi et de sa propre volonté de manière spéciale par l’intermédiaire de personnes particulières pour l’édification et le salut de l’humanité ;
  • Cinquièmement, les deux traditions enseignent que la révélation passe par deux véhicules spéciaux : les écritures et les prophètes ;
  • Sixièmement, le christianisme et l’islam sont toutes les deux des religions du Livre. Les adeptes des deux religions se tournent vers les Écritures pour se guider ;
  • Septièmement, les prophètes sont au cœur du christianisme et de l’islam. La communauté chrétienne considère que Jésus fait partie de l’ancienne succession des prophètes israélites. Dans le Sermon sur la Montagne, Jésus discute des Écritures juives et souligne leur pertinence. Il souligne que ses enseignements n’entrent pas en conflit avec la révélation juive antérieure, mais sont la continuation des anciens enseignements prophétiques de la Bible hébraïque. Comme Jésus, Mohammad a enseigné que son propre ministère était une continuation de ce qui s’était passé avant. Le Saint Coran, nous enseigne sur ce point ce qui suit :(“Dis : « Nous croyons en Allah, à ce qu’on a fait descendre sur nous, à ce qu’on a fait descendre sur Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Tribus, et à ce qui a été apporté à Moïse, à Jésus et aux prophètes, de la part de leur Seigneur : nous ne faisons aucune différence entre eux ; et c’est à Lui que nous sommes Soumis“, (al-‘Imran, 3 : 84) ;
  • Huitièmement, de nombreux chrétiens et musulmans seront surpris d’apprendre que les musulmans considèrent le christianisme de la même manière que les chrétiens considèrent le judaïsme. Le christianisme se considère comme la continuation du message des prophètes dans la Bible hébraïque. Le christianisme accepte donc la Bible hébraïque comme un livre qui parle encore aux chrétiens contemporains. De même, les musulmans considèrent la Bible hébraïque et le Nouveau Testament comme des révélations prophétiques qui s’adressent aux musulmans contemporains. Mohammed a clairement indiqué qu’il considérait la Bible hébraïque et le Nouveau Testament comme des écritures sacrées. L’Islam reconnaît la validité d’autres enseignements prophétiques, puisque ces révélations juives et chrétiennes antérieures parlent du même Dieu que celui que les musulmans vénèrent. Sur ce point Le Saint Coran dit : “Appelle donc (les gens) à cela ; reste droit comme il t’a été commandé ; ne suis pas leurs passions ; et dis : « Je crois en tout ce qu’Allah a fait descendre comme Livre, et il m’a été commandé d’être équitable entre vous. Allah est notre Seigneur et votre Seigneur. A nous nos œuvres et à vous vos œuvres. Aucun argument [ne peut trancher] entre nous et vous. Allah nous regroupera tous. Et vers Lui est la destination » “, (Ash-Shoura, 42 : 15).

Problème d’interprétation

L’un des plus grands problèmes auxquels sont confrontés les participants aux relations entre chrétiens et musulmans est l’interprétation de certains versets bibliques et coraniques qui sont généralement interprétés de manière très exclusive et souvent cités par les opposants au dialogue. Ce problème est trop grave pour être négligé. Le défi que représente la lecture exclusive des Écritures, s’il n’est pas traité correctement, conduira à une impasse. Le mal et la haine, le péché, et même les massacres et autres crimes horribles ont été perpétrés au nom de chacune de ces religions en raison du conflit entre ces deux types de lecture du texte sacré et de l’Écriture.

Il nous incombe d’imaginer les moyens d’une nouvelle matrice de dialogue plus fructueuse et plus ancrée dans la tradition orthodoxe/traditionnelle que celles actuellement disponibles. Commençons par passer en revue ces versets, puis envisageons la possibilité d’avoir une nouvelle matrice de dialogue afin de réinventer le terrain d’entente entre les adeptes des religions abrahamiques.

Il est évident que le Coran et la Bible ne contiennent pas seulement des versets qui déclarent clairement l’ordonnancement divin de la diversité religieuse, des conseils pour engager le dialogue et la présence de la piété et de la droiture dans les religions autres que l’Islam comme mentionné ci-dessus. Elle contient également des versets polémiques. Par exemple, le Coran dit :

“Ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des leurs. Allah ne guide certes pas les gens injustes“, (al-Ma’idah, 5 :51)

“Et les juifs ont dit : « Uzayr est le fils de Dieu » et les chrétiens ont dit : « Le Messie est le fils de Dieu ». Telles sont les paroles qui sortent de leurs bouches, répétant ainsi ce que les négateurs disaient avant eux… Qu’Allah les anéantisse. Comment s’écartent-ils de la vérité“, (at-Taubah, 9 :30)

Une interprétation courante et radicalement exclusive de ces versets est que les juifs et les chrétiens sont des peuples corrompus pratiquant des traditions de culte et de croyance corrompues. En tant que tels, on ne peut jamais leur faire confiance pour être les « amis ou les protecteurs » des croyants. De plus, ces peuples sont considérés comme les ennemis des fidèles puisque Dieu lui-même « les combat » (qatalahumu llahu).

Le Nouveau Testament comporte sa propre part de versets qui ont conventionnellement été interprétés de manière très exclusive. Parmi ces versets figurent ceux qui : Présentent Jésus comme « l’unique médiateur » entre Dieu et l’humanité :

“Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus Christ homme“, (Timothée 2 :5) ;

et qu’il n’y a de salut en aucun autre :

“Il n’y a de salut en aucun autre ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés“, (Actes 4 : l2) ;

que Jésus est le fils unique de Dieu :

“Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père“, (Jean 1 : 14) ;

que :

“Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi“, (Jean 14 : 6) ;

 que Jésus est le Fils unique de Dieu :

“Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi“, (Jean 1 : 14) ;

et que quiconque le voit, voit le Père :

“Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Et dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu“, (Jean 14 : 7).

Ainsi, Jésus est considéré comme le seul qui révèle vraiment et pleinement Dieu. C’est en partie sur la base de versets tels que ceux-ci que Jésus est considéré comme le sauveur particulier et unique du monde.

Ce que les traditions d’interprétation exclusiviste de ces deux versets ont en commun, c’est qu’elles ont tendance à être mal informées de l’intérieur comme de l’extérieur. Être informé de l’intérieur signifie qu’ils ne sont généralement pas disposés à écouter les autres possibilités d’interprétation de leur propre tradition. Non informés de l’extérieur, cela signifie qu’ils sont généralement articulés avec peu ou pas d’expérience de rencontre authentique avec l’autre, ou s’il y a une expérience de communication et de rencontre avec l’autre, elle est de courte durée et très négative.

Approche positive

Le potentiel infini de la signification scripturale, encouragerait deux activités complémentaires face à tout texte scriptural qui pose un défi (positif ou négatif) pour le dialogue, la coopération, et la compréhension et la confiance mutuelle. La première de ces activités consiste à approfondir autant que possible toutes les ressources contextuelles disponibles pour l’interprétation de ces textes. Il ne s’agit pas seulement de lire des passages coraniques ou bibliques à la lumière d’autres passages coraniques ou bibliques proches ou apparentés. Cela signifie également utiliser tous les outils disponibles de la recherche historique et même du développement historique pour découvrir les éléments clés du contexte original de la révélation d’un passage donné (dans le cas du Coran) et de la composition d’un passage donné (dans le cas de la Bible). La seconde de ces activités devrait impliquer une certaine imitation des acteurs de terrain qui ont une expérience réelle de la cohabitation politique, économique et culturelle avec l’autre religieux dans leur propre pays ou à l’étranger, au-delà de leur pays d’origine.

Dans ce cas, l’expérience qui serait la plus significative serait celle de la rencontre de l’autre culturel et religieux. Cette expérience réelle du potentiel infini de signification des Écritures encouragerait les interprétations de toutes les Écritures – en particulier les passages qui prétendent parler de l’autre religieux – à s’enraciner dans l’expérience réelle de cet autre. La simple raison veut que toute interprétation de ce que le Coran, par exemple, dit sur les juifs et/ou les chrétiens soit de facto trompeuse si elle ne peut pas s’opposer aux relations authentiques d’un musulman donné avec les juifs et/ou les chrétiens. Au lieu d’utiliser une vision dichotomique de la jurisprudence islamique classique du dar al-harb (pays de guerre) ou du dar al-Islam (pays d’Islam), il faut utilise une nouvelle terminologie et une nouvelle approche du temps présent basé sur la coexistence pacifique et l’entraide bénéfique, vu qu’aujourd’hui il y a des musulmans qui vivent en Occident et des chrétiens qui vivent dans le monde islamique et qui contribuent au développement de leurs pays hôtes ou leurs pays d’adoption.

Un autre point qui est également pertinent dans le cas de l’interprétation scripturale est l’Unité d’être. Cette matrice peut aider les dogmatiques à réduire leur absolutisme, leur rigidité et leur étroitesse d’esprit dans la religiosité. Cette matrice dicte que la présence et l’influence de Dieu peuvent être trouvées dans toutes les traditions, ainsi, toute interprétation et compréhension de l’Écriture sacrée qui suggérerait le contraire serait suspecte.

Cela ne signifie pas qu’aucune distinction ne peut être faite entre les « croyants », par exemple, et les « non-croyants ». Cela ne signifie pas non plus qu’une tradition ne peut pas être perçue comme supérieure à une autre. Ce qui signifie que l’orgueil exagéré de décréter que Dieu est « avec nous » et pas du tout « avec vous » ne peut être accepté. Cette déclaration, bien sûr, sera sensible pour les sociétés religieuses fermées et créera beaucoup et de sérieuses difficultés dans la culture traditionnelle, avant la culture de la mondialisation.

À partir de ce dicton, notre compréhension profonde touche alors à la réalité de la limite de la langue. Une langue utilisée par les êtres humains dans toutes les cultures et également utilisée par toutes les écritures est limitée par cette grave pénurie et ces difficultés indéniables en même temps. L’idée de la « dénomination de Dieu » peut être mise en exemple. Étant donné l’importance de nos formulations doctrinales pour l’intégrité de nos traditions respectives, nous ne devons jamais tomber dans l’arrogance de croire que ces formulations sont équivalentes à la réalité, à savoir Dieu, dont nous parlons, ni dans l’arrogance de croire qu’elles ne sont guère plus que des conjectures jetables dans notre quête de la vérité. En ce sens, il nous est demandé de ne jamais perdre de vue nos limites en tant que créatures – en particulier l’inadéquation inhérente de nos modes de discours pour transmettre une compréhension de Dieu.

Là encore, c’est le fruit et le sommet de l’expérience mystique que nous ne pouvons pas dire avec précision ce que nous ressentons à propos du monde, de l’homme et de nous-mêmes, pour ne pas dire de la religion. C’est dire que nous ne préservons pas l’intégrité et le caractère sacré de nos formulations doctrinales en les absolutisant de manière à exclure toutes les autres. Nous préservons plutôt cette intégrité et ce caractère sacré précisément en reconnaissant humblement que la compréhension la plus profonde de ces formulations linguistiques intrinsèquement limitées doit laisser la place à la validation et à la dignité des expériences religieuses et des formulations doctrinales des autres, aussi différentes soient-elles des nôtres.

En conclusion

Enfin, la nouvelle matrice pour la possibilité d’avoir un dialogue interconfessionnel et intraconfessionnel dans une atmosphère de calme et de tranquillité a trait à la dimension philosophique de notre structure anthropologique, à savoir la capacité humaine à distinguer clairement entre « Dieu créé par le croyant », d’une part, et la « divinité », d’autre part. La frontière et la démarcation entre les deux sont tellement floues. En raison de son caractère flou et vaguement perçu, elle est très glissante. Ces deux terminologies sont comme une pièce de monnaie à deux faces. On peut clairement les différencier, mais malheureusement on ne peut pas les séparer. En raison de son impossibilité à être clairement séparée, les acteurs religieux les mélangent et les entremêlent si souvent. Cela dépend de qui, de l’endroit et du pourquoi, ainsi que de la scène et du terrain de jeu sur lesquels ils jouent le rôle.

Il faut rappeler que, même si nous accomplissons nos rituels avec passion et dévotion, le moment où nous commençons à utiliser le moi sur les autres est le moment où nous nous marquons comme serviteurs de notre propre ego plutôt que de Dieu. Cette explication justifie à nouveau l’importance de l’herméneutique dans la pensée et les pratiques religieuses. En interprétant les écritures avec une herméneutique du potentiel infini de sens, en n’oubliant jamais l’unicité de l’Être, en reconnaissant la limite de notre langage théologique et notre capacité à distinguer entre « Dieu » que nous créons et la « divinité » finalement ineffable, l’être humain peut gérer les profondeurs de sa relation à Dieu et en même temps s’ouvrir au but qui est au cœur du christianisme et de l’islam, de se transformer en des êtres meilleurs, plus profondément engagés au service de Dieu et des uns et des autres.

En plus de toutes les descriptions ci-dessus concernant la nécessité du dialogue interconfessionnel et intraconfessionnel à l’ère de la mondialisation, les nouvelles valeurs fondamentales et le nouvel héritage sont les valeurs éthiques définies par la modestie, l’abnégation, l’altruisme, la solidarité, le service sans attentes et la profondeur de l’esprit et du cœur sans attente de gain personnel pour quelque intention ou action que ce soit, sont fortement soulignées par ce mouvement transnational mondial. Lorsque tous les participants au dialogue entre le christianisme et l’islam et au-delà auront ces valeurs fondamentales dans leur esprit et leur cœur, tout obstacle à la lecture de leurs saintes écritures pourra être levé, ouvrant la voie à la primauté du maintien d’une coexistence pacifique et respectueuse entre chrétiens et musulmans dans ce petit village mondial.

Le pape François et le roi Mohammed VI en plein dialogue au Maroc en 2019

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