Par Nabyl Lahlou
À l’issue de la représentation de La chute d’Albert Camus, jouée par Sophia Hadi au Théâtre Le Petit Gymnase, le 15 septembre dernier, une dizaine d’étudiants de l’AMGE invités à la représentation, proposèrent à Sophia Hadi de revenir à Paris pour rejouer La chute au profit de l’AMGE (Association des Marocains aux Grandes Écoles). Elle est subventionnée par l’Etat français et aidée par entre autres l’OCP.
L’AMGE a pour raison d’être « de suivre l’étudiant marocain, avant, pendant et après son passage en Grande École». C’est une association apolitique dont la vocation est de «contribuer au rayonnement de l’image du royaume du Maroc en France ». Elle a le grand mérite d’avoir invité, deux fois de suite, le brillant député , Omar Balafrej pour papoter avec lui , en dehors de la proclitique, puisque l’AMGE se doit d’’être apolitique. C’est grâce à Omar Balfrej que j’ai appris l’existence de l’AMGE que j’ai aussitôt contactée, en 2017, pour proposer mes pièces de théâtre, sans recevoir la moindre petite réponse.
Aussi apprendre que des étudiants à Paris s’intéressent au théâtre marocain, m’a beaucoup surpris et étonné, car, exception faite des élèves marocains qui ont découvert, le long de leur scolarité secondaire à Lyautey ou Descartes, la valeur du théâtre, leurs frères, les indigènes de l’enseignement public, ont été pratiquement éloignés pendant leur scolarité, primaire, secondaire et universitaire de toute approche avec le magnifique univers théâtral, comme peuvent en témoigner, les cinquante représentations de mes deux dernières création théâtrales : La chute et Ali Ixe qui ont été vues par une poignée d’étudiants à chaque représentation, malgré des tarifs de 40 ou 30 dirhams. La misère culturelle commence à germer dans les têtes et les esprits de nos enfants, à partir de l’apprentissage par cœur du coran, dans les « msid », et l’absence de raisonnement dès leur arrivée à l’école publique.
Par contre, quand La chute a été présentée dans les Centres et Instituts français, les salles étaient pleines à craquer d’élèves venus des Lycées et établissements scolaires, relevant de la Mission culturelle française au Maroc et d’établissements privés. Ne nous étonnons donc pas de voir la francisation du Maroc s’accélérer en se généralisant. Est-ce une bonne politique ?
Seul l’avenir nous dira si elle est bénéfique ou désastreuse aussi bien pour le pays que pour les Marocaines et les Marocains :
personnellement, je pense que c’est une politique de dépersonnalisation de l’identité nationale. Aussi les 60 étudiants de l’AMGE, sur 1500 adhérents, qui sont allés, dimanche 17 novembre 2019, s(installer dans les 85 sièges de La Comédie Italienne pour voir et écouter un texte aussi riche que complexe, ont dû sûrement remesurer la profondeur de leur ignorance en découvrant pour la première fois une grande et immense comédienne, dont ils n’avaient jamais entendu parler , comme ils l’ont reconnu, eux-mêmes.
Le gouffre culturel dans lequel pataugeaient au Maroc ces étudiants marocains, aujourd’hui inscrits dans les Grandes Ecoles françaises, ne pourra disparaitre définitivement que si ces étudiants optent pour la culture et le savoir culturel et réduisent leurs rencontres autour des barbecues. Ces étudiants marocains des Grandes Ecoles sont appelés à devenir les futurs cadres de demain, dans un pays à la recherche de compétences compétentes et non d’incompétents bardés de diplômes.
Car ces futurs cadres ne pourront accéder à l’excellence qu’en se cultivant et en s’ouvrant sur la culture universelle, dont fait partie l’ART avec toutes ses branches que sont le théâtre, le cinéma, la musique, le chant, la peinture, la chorégraphie et la danse.
Ces étudiants marocains qui, demain, rentreront au Maroc pour participer à sa rénovation, ne pourront réussir leur tâche que s’ils sont ambitieux et libres car armés, culturellement, humainement et artistiquement, par le savoir et la pensée, dont savoir lire et écrire, ce qui est loin d’être le profil des responsables marocains qui gérèrent les affaires, depuis plus de 60 ans.
La robotisation et l’aliénation des nouvelles compétences, doublée de l’asservissement de ces mêmes compétences par l’insoutenable crédibilisation, est une voie qui mène directement vers la faillite des valeurs humaines et spirituelles de toute société qui se matérialise en s’américanisant à outrance.
A ce propos, je tiens à dire aux jeunes étudiants, qui dirigent l’AMGE, que la majorité des responsables marocains, du ministre au petit cadre, muni d’un tampon, ne répondent pratiquement jamais aux citoyens qui leur adressent leurs doléances par lettres, ordinaires ou recommandées.
Ne ressemblez donc pas à ces mauvais responsables qui gangrènent la marche du pays, parce qu’il versent dans la malhonnêteté.
Vous avez invité Sophia Hadi pour jouer La chute au profit de L’AMGE, sans jamais lui avoir envoyé, comme convenu, un contrat ou une convention. Elle est venue de Rabat à Paris pour jouer La chute au profit de l’AMGE, ainsi que le comité de l’AMGE lui donne le moindre contrat. Elle est retournée à Rabat sans contrat et sans une lettre de l’AMGE, stipulant que madame Sophia Hadi a accepté un cachet symbolique pour présenter La chute au profit des étudiants de l’AMGE. Ne soyez donc pas malhonnêtes, car la prise de conscience de la responsabilité et celle de se responsabiliser commence très tôt. Ne ressemblez donc pas aux responsables actuels.
Autrement, vous risquez de devenir comme ce vieil étudiant, bardé de diplômes, à qui je ne cessais de répéter : Mon cher Nejjar, il faut que tu rentres au Maroc car le pays a besoin de cadres. Et qui peut mieux fabriquer les cadres pour les photos ou les toiles, si ce n’est le menuisier (nejjar).