A quelle formule se vouer ?

Par Abdallah Bensmaïn ****

Quel éditeur a du mérite: celui qui reçoit des aides ou subventions (missions culturelles, ministères, etc) qui n’ont pas vocation à financer des œuvres révolutionnaires ou des auteurs en dissidence ou celui qui entreprend aux risques et périls de ses deniers, quitte a mettre les auteurs à contributions ? La question n’est peut être pas là: elle est dans la qualité des ouvrages publiés…

Abdellatif Laabi qui avait édité L’œil et la nuit aux éditions Atlantes qu’il avait fondée comme complément éditorial de Souffles a-t-il ainsi fait du compte d’auteur ? Omar El Malki qui a édité « Le crieur » dans La Collection Pro-Culture, une revue qu’il avait fondée et dirigée durant des années, a-t-il fait du compte d’auteur ? La même revue éditera dans sa collection mon recueil de poèmes « La médiane obscure »…

Guillaume Jobin qui a fondé Casa Express dont il est le principal auteur fait-il du compte d’auteur par cette auto-édition ? Si l’on peut appeler cela du compte d’auteur, on en redemande des ouvrages de la qualité romanesque de « Route des Zaers » qui constitue une reconstitution des relations entre services secrets et journalisme dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est vraisemblable, historique pour « Le Résident » et « Le Sultan », même si je ne m’exprime pas sur le fond, n’étant pas historien. 

Moi-même, j’ai édité « Symbole et idéologie » à Média Productions, une entreprise créée par mes soins pour une activité de presse et d’édition d’entreprise. Ce livre reprend des entretiens déjà publiés par L’Opinion, avec Roland Barthes, Abdallah Laroui et Jean Molino : la qualité de la pensée de ces chercheurs en a-t-elle pâti ?

Toujours  à Média Productions fut publiée une série de « Cartes postales » sous le titre « Le Maroc en Noir et Blanc », des photographies de Abderrazak Benchaabane, légendées par des vers extraits de mes poèmes : cette auto-publication a-t-elle porté préjudice au talent de Benchaabanedevenu le photographe de talent que l’on connaît… et un créateur de parfum qui s’affirme ? 

Le Prix Renaudot qui compte dans le jury JMG Le Clézio, prix Nobel de littérature, avait donné sa chance, en 2010 déjà, à un ouvrage en auto-édition « L’Homme qui arrêta d’écrire », de Marc-Édouard Nabe, diffusé sur le site personnel de l’auteur. En 2018, le même prix a présenté dans sa sélection « Bande de français » de Marco Koskas, auteur ayant déjà été publié par Ramsay, couronné par le Prix du Premier roman, Grasset, CalmannLévy, Lattès, Robert Laffont et Fayard, paru au service d’autopublication d’Amazon, CreateSpace, et distribué par ce géant du commerce en ligne.Ce roman a été sélectionné par le Prix Renaudot avec un nom d’éditeur Galligrasud, contraction de Gallimard, Grasset et Actes Sud qui rappelle le fameux Galligraseuil, inventé dans les années 80 par Bernard Frank comme l’affirme Roger Peyrefitte dans « L’illustre écrivain », pour dénoncer les connivences entre éditeurs qui trustaient les prix littéraires en France, dont le Goncourt.

Contrairement aux prix Pulitzer, CervantesBooker, qui ont des jurys qui se renouvellent d’année en année, les prix en France ont des jurys désignés pour… l’éternité. Comparés au fonctionnement du Prix Nobel de littérature, les prix français sont des autoroutes largement ouvertes sur le manque de cohérence et l’absence de rigueur dans le choix des lauréats d’abord, l’élection des récipiendaires ensuite.

Alors ? Les auteurs édités par l’Harmattan qui a la réputation de faire payer « cash » les auteurs qu’ils publient, suspecté d’être peu ou pas regardant sur la qualité littéraire, d’inonder le marché de livres juste bons pour l’égo des auteurs, ont-ils moins de mérite littéraire que les auteurs de Marsam, par exemple, ou de Yomad ? 

La liste peut encore s’allonger mais le débat mérite de la hauteur et non mené par des acteurs intéressés : Nadia Essalmi, éditrice de Yomad et initiatrice du « Quai des créateurs » avait refusé des auteurs au prétexte que les œuvres furent publiées par l’Harmattan ou Edilivre ! La preuve par Anissa Bellefquih qui avait porté le débat sur Facebook, avec cette accroche : « La culture dans l’étau de l’arbitraire et sous le prisme de l’ostracisme ». 

L’argument avancé par Nadia Essalmi est de…plomb et ne manque pas d’aplomb : « Parce que les éditeurs les font payer et ne s’occupent que du côté technique de l’édition. Ils ne prennent aucun risque. Nous les éditeurs, nous nous sommes toujours battus pour qu’ils n’aient pas de subventions puisqu’ils font payer leurs auteurs. » avec cette chute « C’est mon choix et je l’assume » qui a des allures royales de « tel est mon bon plaisir ». 

Entre faire payer les auteurs, l‘Etat ou les Missions culturelles sous forme de subventions, l’édition a la liberté de ses pourvoyeurs de fonds. Et dans ce cas de figure, l’édition à compte d’auteur a au moins la liberté de ne rien devoir à personne. Ce qui n’est pas une défense de l’édition à compte d’auteur mais une réaction à l’enfumage d’une édition subventionnée qui clame sa liberté d’entreprendre et de penser alors que les subventions n’ont pas vocation, par définition, à soutenir des œuvres révolutionnaires, aussi bien au plan esthétique qu’au plan du contenu.

**** Abdallah Bensmain, Journaliste à la retraite, auteur

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