Le paysage politique marocain, un « Jurassic Park »?

Par Dr Mohamed Chtatou

Il va sans dire que le Maroc est un pays millénaire pourvu de grandes traditions, de vieilles et solides institutions politiques et étatiques et de riches cultures. En somme, un grand pays dont la superficie, il y a quelques siècles de cela, l’étendait, sur un axe nord-sud, de Tlemcen jusqu’au fleuve Sénégal et, sur un axe ouest-est, de Fès jusqu’à Kairaouan.

Toutefois, ce grand pays d’antan,  en dépit d’une position géographique très stratégique, d’une histoire riche en événements qui ont façonné le monde, et d’une culture variée et fortement attractive, semble vivre aujourd’hui dans une sorte de bulle hors-temps et hors-espace et semble être tiraillé, d’un côté, par un passé très pesant et des traditions ancestrales très fortes, tous des boulets au pied, et, de l’autre, par la modernité et les exigences du renouveau. Il est à la fois, en toute absurdité, dans les deux sans vraiment l’être et, par conséquent, il est sujet à un tiraillement perpétuel, source de beaucoup de traumatisme et de souffrance pour tout le monde.

Le contour du paysage politique d’antan

Historiquement parlant, au 19ème siècle et avant, la scène politique marocaine était dominé par deux acteurs politiques principaux : le Sultan, « Commandeur des Croyants » amir al-mou’minine et son administration et appareil étatique le Makhzen, tantôt répressif et tantôt conciliant mais considéré par tous comme autorité bienveillante symbole de stabilité et de l’autre coté les zaouias, les confréries et les oulémas qui représentait un contrepoids au pouvoir sultanesque. A un moment de l’histoire du Maroc, le pouvoir confrérique a essayé de remplacer l’institution monarchique. C’est le cas de la Zaouia Dila’iyya. Cette zaouia avait perdu de son importance avec l’arrivée des Alouites au pouvoir en 1666 sous le sultan Moulay Rachid (1631-1672) et fut définitivement rasée par le sultan Moulay Smail (1645-1727) en 1689.

Le Sultan Moulay Hassan 1er (1836-1894), aspirant à la modernisation du paysage politique marocain, s’était engagé auprès des tribus, des oulémas, des zaouïas, des confréries et des principales composantes de son peuple à promouvoir un système politique fondé sur le concept coranique de la choura (la consultation) et à faire en sorte quetoutes les forces vives de la nation marocaine renaissante puissent s’exprimer en toute liberté et dignité, dans le cadre d’un état musulman, tolérant et ouvert sur le monde.

Paysage politique actuel : prolifération de partis

Le Maroc compte désormais plus de 36 partis politiques de tous les horizons, ainsi que plusieurs organisations syndicales. Plus de soixante ans d’existence séparent certains vieux partis de ceux qui ont eu plus tard leur baptême politique.

En 1933 naquit la première structure politique officielle du pays, symbolisée par le Koutla de l’Action Nationale. La même année, la ville de Tétouan verra la naissance d’un deuxième parti politique, le Parti National de la Réforme. Un autre parti national de la Réforme a fait son apparition en 1937 à Fès, sous la présidence d’Allal El Fassi, futur chef du parti d’Istiqlal, qui serait créé par la suite.

Plus tard, d’autres partis vont voir le jour. Il s’agit du Parti communiste Marocain (PCM), fondé en 1943, du Parti d’Istiqlal (PI), créé en 1944 et du Parti Démocratique et de l’Indépendance (PDI), apparu en 1946. Ces deux derniers proviennent du Comité National d’Action créé dans les années trentedu siècle dernier par les nationalistes marocains pour contrer le dahir berbère et qui a présenté des demandes de réformes politiques et sociales aux autorités françaises du Protectorat.

Quant au PCM, il sera interdit en 1952 et réapparaîtra en 1969 sous le nom de Parti de la Libération et du Socialisme (PLS), puis sera légalisé en 1974 sous la bannière du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS).

De 1956 à 1999, douze partis ont vu le jour, dont le Mouvement Populaire (MP), créé en décembre 1958, le Front pour la Défense des Institutions Constitutionnelles (FDIC), en 1963, le Mouvement Populaire Démocratique et Constitutionnel (MPDC) 1965, avant d’être renommé plus tard Parti de la Justice et du Développement (PJD).

Trois nouveaux partis seront créés à la suite de la Marche verte: le Parti de l’Action (PA) en 1974, l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) en 1975, émanation de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP), créée en octobre 1959 par Mehdi Benbarka après une scission au sein du PI.

Trois nouveaux partis politiques sont apparus sur la scène politique marocaine au cours de la décennie suivante: le Parti National Démocrate (PND) en 1979, l’Union Constitutionnelle (UC) en 1983 et le Parti du Centre Social (PCS) en 1984.

Cinq autres partis se sont formés dans les années 1990: le Parti de l’Avant-Garde Démocratique et Sociale (PADS), fondé en 1991 en même temps que le Mouvement Populaire National (MNP), le Mouvement Démocratique et Social (MDS) et le Parti Socialiste Démocratique (PSD) en 1996, puis le parti du Front des Forces Démocratiques (FFD) en 1997.

En ce qui concerne les « partis du troisièmemillénaire », quatre d’entre eux sont nés en 2001: l’Union Démocratique (UD), le Parti des Forces Citoyennes (PFC), le Congrès National Ittihadi (CNI) et le Parti de la Réforme et du Développement (PRD). .

Six autres sont nés en 2002: Alliance des Libertés (ADL), Initiatives Citoyennes pour le Développement (ICD), Le Pari du Renouveau et de l’Equité (PRE), Le parti Al Ahd, Le Parti de l’Environnement et du Développement (PED), Parti libéral Marocain (PML). En 2002, la scène publique a vu naître, aussi, le Parti de la Gauche Socialiste Unifiée (PGSU), résultat de la fusion de l’Organisation pour l’Action Démocratique et Populaire (OADP), du Mouvement des Démocrates Indépendants (MDI) et du Mouvement pour la Démocratie ( MPD). Aujourd’hui, ce parti a changéde nom et est devenu le Parti Socialiste Unifié (PSU).

Le Parti Authenticité et Modernité (PAM) est né le 20 février 2009, date de la tenue de son premier congrès constitutif.

Partis politiques en panne

Et bien que le parti unique n’as jamais pu élire domicile au Maroc, à cause du choix politique fait par la nation : système politique pluraliste, toutefois, des partis politiques et, plus précisément, l’Istiqlal, s’est comporté en tant que tel juste après l’indépendance, chose qui a contribué au soulèvement du Rif de 1958 et à son isolement par la suite et à la création du Mouvement Populaire, un parti à consonance amazighe, par Mohjoubi Aherdane durant la même période, dont le rôle principal était de casser l’Istiqlal et de le ramener à la forme d’un parti politique, parmi tant d’autres et non un partit-état ou parti unique.

Mais comme toute bonne chose à un revers de la médaille, la nature du système politique marocain a favorisé la prolifération des partis politiques, ils sont actuellement de l’ordre de 36 partis si l’on exclut les grandes associations mentionnées ci-dessus. Pour certains critiques du système politique et surtout les leaders du Hirak d’Alhoceima, ce sont de vulgaires « échoppes politiques » dakakin siyasiya dont la mission est de fructifier un fonds commercial. Aujourd’hui au Maroc un grand fossé s’est creusé entre les partis politiques (élites) et le peuple.

En effet, beaucoup de ses partis sont crées par des groupes de gens afin de défendre leurs intérêts économiques mutuels et fonctionnent, en quelque sorte, comme de grands clubs de football, dont les joueurs offrent leurs services au club le plus offrant lors de la saison des transferts. Cet état des choses favorise la déconfiture de certains partis, et l’émergence d’autres , et cela a pour conséquence l’institutionnalisation de la « transhumance politique » tirHal siyasi dans notre paysage politique et la fragilité des structures partisanes.

En majorité, les partis politiques marocains sont très faibles sur le plan idéologique ainsi que sur le plan organisationnel et sur le plan programmes. Souvent leurs déclarations d’intention et leurs objectifs se résument en quelques tournures ambiguës qui peuvent se lire de mille façons et beaucoup de devises à portée mobilisatrice, pas plus.

En réalité, les partis politiques marocains sont dirigés par des politburos ou siègent en majorité des politiciens et peu de gens qui sont versés dans les affaires économiques et sociales. Pire, ces partis  n’ont pas de think tank pour les épauler en ce qui concerne les affaires en dehors de la politique générale, à part le PJD qui s’adosse sur le MUR (Mouvement Unicité et Réforme) pour ses référentiels religieux et fatwas, chose qui fait que les programmes à vocation économique qu’ils présentent sont des caisses vides et ne peuvent en aucun cas satisfaire les besoins économiques des électeurs et entrainer le développement du pays .

En majorité, les partis politiques marocains se disent être des partis démocratiques mais la réalité est autre. Ils sont des institutions dirigées par le sommet et par conséquence la base à très peu de marge de manœuvre. Donc, toute orientation d’ordre idéologique ou autre va du haut vers le bas et presque jamais dans le sens contraire et dans le cas la base montre des airs de doute on mobilise des militants de pointe pour faire changer aux militants de base leurs opinions en utilisant, en premier lieu la carotte et, en dernier ressort, le bâton sous forme d’exclusion. Une fois ces militants sont exclus, on les taxe d’agitateurs à la solde de l’administration ou d’un mouvement politique adverse.

Les élections au sein du parti sont généralement  » cuisinées  » d’avance, donc il y a jamais de place pour les surprises. Mais dans le cas ou l’on peut pas en contrôler le résultat on évite de les tenir.

A la différence des démocraties libérales, les partis politiques marocains sont des institutions hautement centralisées : à la base on trouve des sections de parti et non pas des partis de base, ce que les anglo-saxons appellent local party. Les sections ne bénéficient pas d’indépendance politique et encore moins de moyens financiers adéquats. La direction centrale tient toutes les commandes et peut les manipuler à sa guise. Donc les partis politiques marocains sont à l’mage de l’establishment marocain ; hautement centralisé et faisant montre de démocratie de vitrine. Tout est décidé par la direction nationale, les sections locales sont faites pour le suivisme ni plus ni moins.

Au niveau central, les partis sont dirigés par un  » comité exécutif  » ou un  » bureau politique  » coiffé par un  » secrétaire général « . Entre le  » congrès  » et le  » comité exécutif  » il y a généralement un  » conseil national  » composé d’une centaine de cadres du parti qui siègent une fois par an pour débattre des sujets chauds et faire des recommandations au comité exécutif. Ce comité a le contrôle aussi de toutes les institutions parallèles du parti telles celles des étudiants, des jeunes, des femmes, des cadres, etc.… ainsi que les syndicats affiliés. Toutes velléités indépendantistes dans ces institutions sont  » réprimées  » par des élections  » cuisinées  » ou par la  » mise en sourdine  » des activités de l’instance en question.

Les jeunes fuient la politique

Beaucoup d’observateurs se demandent pertinemment pourquoi la politique fait peur à la jeunesse marocaine, alors qu’ailleurs elle exerce une fascination sur eux. Pendant les années 60, 70 et même 80 du siècle dernier. La répression policière contre les militants de gauche était tellement sauvage qu’elle a fini par terroriser les jeunes et les a poussés à fuir la politique une fois pour toutes.

Il faut dire que pendant l’ère d’Oufkir, beaucoup de jeunes ont été poussé par les partis dans l’arène politique mais une fois tombés dans les mains de la répression policière ils ont été soit récupéré par le système, soit broyé par la machine de l’état sans que personne ne se soucie de leur sort. Les Années de Plomb 1960-1996 ont poussé la jeunesse à se donner à d’autres activités que la politique et cet état de choses est devenu à la longue une tradition pour ne pas dire une phobie.

Les jeunes ont fui la politique aussi parce qu’ils se sont rendu compte que mobilité et la promotion au sein des partis marocains est généralement inexistante ou dans le cas contraire semée de embûches et parsemée de peaux de banane, donc toute ambition dans ce sens est sujette à un grand risque.

Il faut pas oublier aussi que le culture qui sévit au sein des partis se base sur le népotisme, le copinage, le clientélisme et surtout la notion d’identité tribale qui n’a jamais disparu de la philosophie du marocain et encore moins de celle de l’animal politique.

La survie des dinosaures 

Cette peur de la politique de la part des jeunes a été et est toujours hautement bénéfique pour les leaders historiques des partis politiques. A la longue ces leaders sont devenus des patriarches et des zaimsdifficiles à ébranler ou  remettre en question, sauf en cas de mort subite, bien sûr. D’ailleurs, depuis l’indépendance les chargements à la tête des partis politiques marocains n’ont eu lieu qu’après la mort de leur leaders : Allal El Fassi (Istiqlal), Abderrahim Bouabid (USFP), Ali Yata (PPS), Arsalan Jadidi (PND), Maati Bouabid (UC).

En somme, le seul changement qui a eu lieu à la tête d’un parti politique alors que son zaim était toujours en vie, s’est passé du sein du MP, où Mahjoubi Aherdane a été détrôné par son poulain Mohamed Laencer dans «  un coup d’état  interne », orchestré paraît-il par l’administration. Mais Mahjoubi Aherdane, en vieux routier qu’il est, s’est vite fait une virginité politique et a constitué un parti sur mesure, le MNP, à base d’allégeance tribale. Quand à la seule et unique démission d’un zaimpolitique et celle toute récente d’Abderahmane El Youssifi de son poste de premier secrétaire de l’USFP. 

En perspective, les partis politiques marocains semblent être fait à la mesure de leurs Zaims, d’où la promotion du culte de personnalité comme cela se passait dans les pays de l’Est avant la chute du mur de Berlin. D’ailleurs ses zaims à leur mort, sont considérés par des militants comme presque de grands saints dont la baraka (grâce divine) continue à avoir des effets bénéfiques sur le parti, longtemps après leur décès : Allal El Fassi est un bon exemple dans ce sens. N’est-il pas le cas toutefois que les journaux des partis ne parlent que d’eux et de leurs qualités pendant toute la durée du deuil qui est généralement de 40 jours ? 

Donc, sans vouloir verser dans la polémique, on peut métaphoriquement parlant dire que le paysage politique marocain est un vrai parc jurassique et comme donc dans le fameux film de Steven Spielberg  » Jurassic Park « , tout contact avec le monde extérieur peut s’avérer catastrophique aux dinosaures et par conséquent mener à leur extinction rapide et inéluctable. Ici le contact avec le monde extérieur, veut dire l’ouverture sur l’Europe démocratique. Mais, en réalité, nous avons maintenant en présence un facteur beaucoup plus déterminant qui va, sans nul doute, précipiter l’extinction de ces monstres : le Printemps arabe et ses effets à long termeEn effet, le Printemps arabe de 2011 a causé la destitution et/ou la mort de zaims arabes, lire dinosaures politiques, tels que Hossni Moubarak, Mouamar Qaddafi, Ali Saleh, Zine Al-Abidine Ben Ali et la fin de leurs dictatures militaires et patriarches.

Les dinosaures sont partout 

Si la majorité des partis politiques souffrent du  » syndrome des dinosaures « , l’administration et les rouages de l’état sont le terrain de prédilection de ces monstres dévastateurs qui, ne reculent devant rien. Le secret de leur longévité proverbiale se résume dans le fait qui ils ont, des années durant, crée des communautés de disciples qui profitent de leur générosité en contre partie de leur allégeance, indéfectible attachement et fidélité. Cet atmosphère est constamment tonifiée par la corruption, l’abus du pouvoir et le clientélisme.

Il y a quelques années de cela, feu S.M. Hassan II avait demandé une rotation périodique des commis de l’état. Si cela a eu lieu, cette opération n’a pas inquiété les  » dinosaures  » qui sévissent toujours dans l’administration et les postes clés de l’état et gênent, incontestablement, l’effort des développement à cause de leurs pratiques douteuses et immorales.

En réalité, cet état de choses est le résultat d’une culture millénaire qui a toujours glorifié les vertus et la sagesse, de l’âge et de la séniorité. Cette pratique est, certes, louable, mais poussée à l’extrême elle devient un grand obstacle pour la marche normale des affaires dans la vie, car plus on est jeune plus on est dynamique et ambitieux et plus en est créatif. Donc, il est tout à fait légitime de se demander si un pays gouverné par des vieux n’est pas condamné, par conséquent, à glorifier le passé et l’immobilisme au lieu d’œuvrer pour l’avenir et le changement.

De grâce libérez le génie marocain 

Le Maroc est un pays qui à d’immenses ressources humaines, mais malheureusement ces ressources sont on  bien ignorées et  » boudées  » ou bien mal utilisées. Ainsi, le génie marocain reste prisonnier des carcans d’un conformisme d’un autre âge et d’un conservatisme dépassé.

Ainsi, les partis politiques sont appelés à ouvrir grandes leurs portes aux jeunes et leur permettre de prendre les commandes comme cela s’est passé en Grande Bretagne avec Tony Blair, dans les années 90 du siècle dernier et ailleurs en occident. En effet, en 2017, la France s’est débarrassée de ses hommes politiques traditionnels pour faire confiance à la jeunesse d’Emmanuel Macron et son parti : La République En Marche !.

Les partis politiques et l’administration marocains doivent se débarrasser des leur  » graisse  » qui rendent leur démarche lourde et œuvrer à devenir un outil de développement et non un obstacle. La machine économique doit fonctionner à plein régime pour contribuer davantage à l’émergence de ce pays. Last but not least, l’homme doit être moins égoïste avec ses connaissances, sa richesse, son temps et son amour pour son pays.

Avec tous ses ingrédients on est sûr de gagner le pari du décollage économique et de mettre le Maroc une fois pour toutes sur les rails du 3ème millénaire.

Salut à bon entendeur !

Article19.ma